Entretien : Jean-Marc Lucas économiste, BNP Paribas, Economic Research Department.
Décideurs : Quels indicateurs laissent penser que la croissance sera au rendez-vous aux États-Unis en 2010 ?
Jean-Marc Lucas : Les enquêtes auprès des entreprises rendent compte d’une progression de l’activité, surtout dans le secteur manufacturier. Le cycle des stocks et les actions du gouvernement et de la Réserve fédérale jouent favorablement. Dans certains domaines, comme le marché immobilier et le marché du crédit, la situation reste cependant délicate.
L’économie américaine devrait renouer avec la croissance cette année (+2,3 % attendus, contre -2,6 % en 2009), sans pour autant rebondir de façon marquée.
Décideurs : Où en est la courbe des dépenses de consommation aux États-Unis ?
J.-M. L. : La consommation a retrouvé une tendance haussière depuis l’été dernier, en partie sous l’impulsion des incitations gouvernementales (allègements fiscaux, prime à la casse). L’amélioration progressive du contexte (marché du travail, marché actions) ne suggère pas de rechute à court terme. Progressivement, les revenus salariaux devraient cesser de diminuer, et l’effet richesse négatif lié à la chute du prix de l’immobilier et des actifs financiers se dissiper.
Il ne faut cependant pas attendre de rebond marqué de la consommation, car des freins sérieux restent en place, sur le marché du crédit en particulier : critères resserrés, endettement des ménages très élevé, ...
Décideurs : Le dollar va-t-il continuer à chuter ? Quelle conséquence aura son évolution ?
J.-M. L. : L’interruption de la chute du dollar, en fin d’année 2009, pourrait se révéler durable en 2010. Nous n’anticipons pas de rechute dans les trimestres à venir, notamment face à l’euro.
Les inquiétudes portant sur la dette souveraine pénalisent davantage l’euro que le dollar. Par ailleurs, l’abondance de liquidités, qui a pesé sur le dollar en 2009, serait moins marquée en 2010 (modération de la politique monétaire quantitative). Enfin, la reprise de l’activité devrait se révéler plus marquée aux États-Unis qu’en Europe.
L’arrêt du repli du dollar limiterait l’inflation importée et rendrait le commerce extérieur moins favorable à la croissance américaine. Cependant, ces effets devraient être limités. Les fluctuations attendues pour l’EUR / USD en 2010 sont modestes.
Décideurs : Quand les pertes d’emplois et la montée du chômage seront-elles stoppées ? La politique d'Obama concernant la réduction du chômage est-elle assez offensive ?
J.-M. L. : Les pertes d’emplois ont fortement diminué dans le courant de 2009. Cette amélioration devrait se poursuivre en 2010 et déboucher sur une hausse des effectifs vers la fin de l’hiver. Le chômage devrait arrêter de croître quelques mois plus tard (vers le milieu de l’année), lorsque la hausse des effectifs aura atteint un niveau suffisant (de l’ordre de 100 000 à 150 000 par mois) pour absorber les nouveaux entrants.
Le plan de relance massif de 2009 a naturellement contribué à éviter une baisse encore plus violente de l’emploi. Les transferts aux États fédérés ont notamment permis de limiter des diminutions plus marquées des effectifs à l’échelon local, dans les domaines de l’éducation et de la santé.
Décideurs : Faut-il craindre un rebond de l’inflation ?
J.-M. L. : L’inflation totale a récemment rebondi, mais ce n’est que le reflet de l’évolution heurtée des prix énergétiques.
En revanche, un rebond de l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) paraît très improbable dans les trimestres à venir, pour différentes raisons : le pouvoir de fixation des prix des entreprises et le pouvoir de négociation des salariés sont faibles, et la productivité se redresse.
Au sortir d’une récession, les pressions inflationnistes fléchissent généralement. Ce mécanisme devrait jouer en 2010 et ramener l’inflation sous-jacente vers 1 %. Seuls les prix des matières premières semblent avoir le potentiel de soutenir l’inflation totale.
Décideurs : Quelle est la situation budgétaire, au sortir de la crise ?
J.-M. L. : La récession et les actions mises en œuvre par le gouvernement fédéral pour contrer ses effets (plan de relance) et limiter la crise financière (TARP) ont porté le ratio de déficit sur PIB à son plus haut niveau depuis la seconde guerre mondiale.
Le thème des finances publiques restera sur le devant de la scène dans les prochaines années. Pour 2010, les anticipations en matière de finances publiques ne sont guère plus favorables que pour 2009. Et à plus long terme, la hausse des coûts des programmes publics dans les domaines de la santé et des retraites promet d’accroître les dépenses de façon marquée.