Politique-fiction. Quelques heures après la sortie de l’Allemagne de l’Eurosystème, les marchés s’affolent. La BCE tente le tout pour le tout.
« Whatever it takes » (2/6)
Vendredi 25 octobre
13h35, Francfort – Sky Tower, siège de la BCE
D’un geste énergique, Mario Draghi retire ses lunettes et déclare : « Les juges disent le droit, les gouvernants le font, et ici ceux qui gouvernent c’est nous ! »
13h35, Paris Montrouge – Place des États-Unis
Les chiffres défilent à toute vitesse sur les écrans de la salle des marchés du Crédit agricole. Il est inutile de vouloir placer de la dette française aujourd’hui. Le spread ne cesse de grimper après l’annonce la veille du rejet du budget français par la Commission et l’exclusion de facto de l’Allemagne de l’Eurosystème. La tension est palpable parmi les traders. On court, on crie. Les particuliers se ruent sur les guichets en province et à Paris. Les distributeurs seront bientôt vides. Depuis ce matin, les marchés s’effondrent. La banque italienne Unicredit a vu sa capitalisation boursière chuter de 25 % dès l’ouverture à Milan. À midi elle est devenue insolvable au regard des ratios prudentiels. Même chose en Espagne, en Irlande et au Portugal. Épargnants comme investisseurs, tous craignent un euro sans l’Allemagne et retirent leurs liquidités des marchés pendant qu’il en est encore temps. Les plus malins envoient leurs avoirs outre-Rhin. L’industrie financière n’a pas le temps de pleurer ses faillites et chacun de ses barons craint désormais le pire. L’Europe s’enfonce dans la crise économique la plus grave de son histoire.
Au Crédit agricole, on attend une annonce de la direction mais surtout la conférence de presse prévue en fin d’après-midi, à Francfort. Les banquiers centraux se sont réunis en urgence à la BCE et l’heure n’est plus à la forward guidance sur la politique monétaire. Mario Draghi doit agir s’il veut préserver la monnaie unique. L’attaque est encore plus sévère qu’en 2011. Tout le monde attend qu’il applique sa promesse, son « quoi qu’il en coûte » pour sauver l’euro.
Pendant ce temps, un peu plus haut dans les étages, dans une salle de réunion feutrée, le P-DG de la banque, Jean-Paul Chifflet, tremblant, dessere le nœud de sa cravate. « Ne m’avez-vous pas dit qu’il n’y aurait que quelques remous ? » Le crâne d’Hubert Reynier, le directeur du risque, luit encore plus qu’à l’habitude. Derrière ses lunettes, ses yeux calculent dans le vide. Il tremble aussi.
« Nos modèles n’incluaient euh… n’anticipaient pas une réaction si soudaine de l’Allemagne et des marchés, répond-il.
- Nous savions que la Cour de justice pouvait déclarer les OMT conformes, ajoute Jean-Yves Hocher, directeur de la banque d’affaires. Mais l’Allemagne ne devait pas mettre ses menaces à exécution.
- Reste que maintenant elle n’est plus dans l’Eurosystème, s’emporte Jean-Paul Chifflet. L’Asie a perdu toute la nuit. Je n’ai pas dormi… Et les marchés sont pires ce matin en Europe… Où en est notre Core Tier One, Bernard ?
- Dès 10h, notre cotation a été suspendue par l’AMF, répond Bernard Delpit, le directeur financier du groupe. À midi, nous estimons qu’elle pourrait être tombée sous la barre des cinq euros. La décote sur le capital serait donc supérieure à quinze milliards. En ce qui concerne l’impact du change, l’euro ayant perdu 47 % depuis…
- Venez-en aux faits, Bernard. Nous sommes toujours dans les clous des ratios prudentiels, oui ou merde ?
- Nous attendons les chiffres pour nos actifs pondérés du risque, mais même à périmètre constant… nous sommes tout juste à la limite de l’insolvabilité… »
Silence. Jean-Paul Chifflet le sait. Avec une comptabilité IFRS et des marchés qui dévissent, les actifs pondérés du risque vont être catastrophiques. Dans quelques minutes, la cinquième banque d’Europe par la taille de son bilan sera techniquement en faillite. Une secrétaire entre brusquement. « Monsieur, le premier ministre pour vous sur la deux ! »
13h45, Paris Ve – Hôpital militaire du Val-de-Grâce
Dans la chambre, quelques proches entourent le vieil homme qu’un cancer foudroyant est en train d’emporter. Sa fille, qui a repris le flambeau politique, est présente. Elle le regarde partir sentant bien l’ironie cruelle d’une mort coïncidant avec la crise la plus grave de l’œuvre qu’il a bâtie. Dans un effort ultime, il porte ses yeux sur elle. « Fais-moi plaisir, prie pour moi, lui dit-il. Et… n’abandonne pas ce rêve que j’ai voulu servir. » Il tousse, reprend sa respiration. « N’abandonne pas l’Europe, Martine, ne l’abandonne pas. »
15h, Francfort – Sky Tower, siège de la BCE
« Il n’y aura pas de questions », a annoncé de manière lapidaire l’intendant, quelques minutes avant l’entrée de Mario Draghi. Arrivé à la tribune, celui-ci jette un regard vague sur l’assemblée. « Je serai bref. Afin d’éviter toute attaque et tentative de déstabilisation de l’euro, les gouverneurs des banques centrales nationales et moi-même au nom de la BCE avons décidé pour une durée de quarante-huit heures d’une suspension intégrale des paiements et de la fermeture des banques de la zone euro. Cette décision prend effet ce soir à minuit. Pendant ce délai, les autorités européennes et nationales mettront en place tous les outils nécessaires à la sauvegarde et la pérennité de la monnaie unique. Il n’y a donc aucune raison de paniquer. Je vous remercie. »
JHF
Épisode 1 - L'Allemagne exclue de la zone euro ?
Épisode 3 - " Sans doute n'étions-nous pas la génération qu'il fallait "
Épisode 4 - Père, pourquoi nous as-tu abandonné ?
Épisode 5 - La fin des illusions
13h35, Francfort – Sky Tower, siège de la BCE
D’un geste énergique, Mario Draghi retire ses lunettes et déclare : « Les juges disent le droit, les gouvernants le font, et ici ceux qui gouvernent c’est nous ! »
13h35, Paris Montrouge – Place des États-Unis
Les chiffres défilent à toute vitesse sur les écrans de la salle des marchés du Crédit agricole. Il est inutile de vouloir placer de la dette française aujourd’hui. Le spread ne cesse de grimper après l’annonce la veille du rejet du budget français par la Commission et l’exclusion de facto de l’Allemagne de l’Eurosystème. La tension est palpable parmi les traders. On court, on crie. Les particuliers se ruent sur les guichets en province et à Paris. Les distributeurs seront bientôt vides. Depuis ce matin, les marchés s’effondrent. La banque italienne Unicredit a vu sa capitalisation boursière chuter de 25 % dès l’ouverture à Milan. À midi elle est devenue insolvable au regard des ratios prudentiels. Même chose en Espagne, en Irlande et au Portugal. Épargnants comme investisseurs, tous craignent un euro sans l’Allemagne et retirent leurs liquidités des marchés pendant qu’il en est encore temps. Les plus malins envoient leurs avoirs outre-Rhin. L’industrie financière n’a pas le temps de pleurer ses faillites et chacun de ses barons craint désormais le pire. L’Europe s’enfonce dans la crise économique la plus grave de son histoire.
Au Crédit agricole, on attend une annonce de la direction mais surtout la conférence de presse prévue en fin d’après-midi, à Francfort. Les banquiers centraux se sont réunis en urgence à la BCE et l’heure n’est plus à la forward guidance sur la politique monétaire. Mario Draghi doit agir s’il veut préserver la monnaie unique. L’attaque est encore plus sévère qu’en 2011. Tout le monde attend qu’il applique sa promesse, son « quoi qu’il en coûte » pour sauver l’euro.
Pendant ce temps, un peu plus haut dans les étages, dans une salle de réunion feutrée, le P-DG de la banque, Jean-Paul Chifflet, tremblant, dessere le nœud de sa cravate. « Ne m’avez-vous pas dit qu’il n’y aurait que quelques remous ? » Le crâne d’Hubert Reynier, le directeur du risque, luit encore plus qu’à l’habitude. Derrière ses lunettes, ses yeux calculent dans le vide. Il tremble aussi.
« Nos modèles n’incluaient euh… n’anticipaient pas une réaction si soudaine de l’Allemagne et des marchés, répond-il.
- Nous savions que la Cour de justice pouvait déclarer les OMT conformes, ajoute Jean-Yves Hocher, directeur de la banque d’affaires. Mais l’Allemagne ne devait pas mettre ses menaces à exécution.
- Reste que maintenant elle n’est plus dans l’Eurosystème, s’emporte Jean-Paul Chifflet. L’Asie a perdu toute la nuit. Je n’ai pas dormi… Et les marchés sont pires ce matin en Europe… Où en est notre Core Tier One, Bernard ?
- Dès 10h, notre cotation a été suspendue par l’AMF, répond Bernard Delpit, le directeur financier du groupe. À midi, nous estimons qu’elle pourrait être tombée sous la barre des cinq euros. La décote sur le capital serait donc supérieure à quinze milliards. En ce qui concerne l’impact du change, l’euro ayant perdu 47 % depuis…
- Venez-en aux faits, Bernard. Nous sommes toujours dans les clous des ratios prudentiels, oui ou merde ?
- Nous attendons les chiffres pour nos actifs pondérés du risque, mais même à périmètre constant… nous sommes tout juste à la limite de l’insolvabilité… »
Silence. Jean-Paul Chifflet le sait. Avec une comptabilité IFRS et des marchés qui dévissent, les actifs pondérés du risque vont être catastrophiques. Dans quelques minutes, la cinquième banque d’Europe par la taille de son bilan sera techniquement en faillite. Une secrétaire entre brusquement. « Monsieur, le premier ministre pour vous sur la deux ! »
13h45, Paris Ve – Hôpital militaire du Val-de-Grâce
Dans la chambre, quelques proches entourent le vieil homme qu’un cancer foudroyant est en train d’emporter. Sa fille, qui a repris le flambeau politique, est présente. Elle le regarde partir sentant bien l’ironie cruelle d’une mort coïncidant avec la crise la plus grave de l’œuvre qu’il a bâtie. Dans un effort ultime, il porte ses yeux sur elle. « Fais-moi plaisir, prie pour moi, lui dit-il. Et… n’abandonne pas ce rêve que j’ai voulu servir. » Il tousse, reprend sa respiration. « N’abandonne pas l’Europe, Martine, ne l’abandonne pas. »
15h, Francfort – Sky Tower, siège de la BCE
« Il n’y aura pas de questions », a annoncé de manière lapidaire l’intendant, quelques minutes avant l’entrée de Mario Draghi. Arrivé à la tribune, celui-ci jette un regard vague sur l’assemblée. « Je serai bref. Afin d’éviter toute attaque et tentative de déstabilisation de l’euro, les gouverneurs des banques centrales nationales et moi-même au nom de la BCE avons décidé pour une durée de quarante-huit heures d’une suspension intégrale des paiements et de la fermeture des banques de la zone euro. Cette décision prend effet ce soir à minuit. Pendant ce délai, les autorités européennes et nationales mettront en place tous les outils nécessaires à la sauvegarde et la pérennité de la monnaie unique. Il n’y a donc aucune raison de paniquer. Je vous remercie. »
JHF
Épisode 1 - L'Allemagne exclue de la zone euro ?
Épisode 3 - " Sans doute n'étions-nous pas la génération qu'il fallait "
Épisode 4 - Père, pourquoi nous as-tu abandonné ?
Épisode 5 - La fin des illusions