La percée spectaculaire du Front national aux élections européennes marque la défiance de la France vis-à-vis de l’Union. Sur le banc des accusés siège au premier rang l’euro. Mais la monnaie unique est-elle vraiment coupable de tous les maux?
La France a mal à son Union
L’euro fait débat. Tantôt jugée responsable de la crise, tantôt pointée du doigt à l’évocation de la situation économique française, la monnaie unique est devenue le bouc émissaire des États membres en mal d’union. Nombreux sont les économistes, les responsables de banques centrales ou encore les journalistes à avoir milité pour sa mise à mort. Parmi eux, Bernard Maris, conseiller économique de la Banque de France, qui virait sa cuti en forme de mea culpa le 24 avril dernier dans le journal Charlie Hebdo, « J’ai vote? oui a? Maastricht, oui au traite? constitutionnel. Aujourd’hui, je pense qu’il faut quitter la zone euro. » Des propos qui font écho aux revendications d’économistes anti-monnaie unique qui prônent depuis des années la dissolution de l’euro. Peut-être à tort mais non sans raison, Frédéric Lordon, directeur de recherches au CNRS, Jacques Mazier, professeur à l’université Paris-XIII, Jacques Sapir, directeur d’études à l’EHESS donnent de la voix soutenant que « l’euro est vicié et laisse la part belle aux marchés financiers ». Un message qui sème le trouble auprès des économistes comme au sein de la classe politique.
À bas l’euro, vive le franc ?
Dans une interview accordée au Point, Jean-Claude Trichet réaffirme sans ambages que « l’euro est une grande réussite ! ». « Tous ceux qui prédisaient que l’euro ne verrait pas l’année 2013 doivent être étonnés de l’étrange stabilité de la monnaie unique », s’amuse Jean-Claude Juncker, le candidat du centre-droit à la présidence de la Commission. En quinze ans, la monnaie européenne est en effet devenue la seconde devise mondiale et a su maintenir un haut niveau de crédibilité auprès des épargnants en période de crise. Un avis que Franck Dedieu, co-auteur de l’ouvrage Inévitable protectionnisme, ne partage pas. Le rédacteur en chef adjoint de l’Expansion milite en faveur de la sortie de l’euro en agitant la bouée de sauvetage de la dévaluation. Selon lui, « le retour à la souveraineté nationale permettrait de gagner en souplesse ». Autrement dit : agir sur les taux de change. Une alternative contestée par l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce. « La dévaluation n’a rien d’un remède miracle. Il existe d’autres outils d’ajustement comme les salaires, la fiscalité », martèle Pascal Lamy, avant d’ajouter que « sortir de l’euro ou affaiblir l’Union européenne serait une catastrophe ». Une théorie partagée par Frédéric Oudéa, le P-DG de la Société générale, qui met en garde dans une tribune publiée sur lemonde.fr contre le chaos qu’augurerait un retour à la monnaie initiale : « Remplacement des billets et des pièces en circulation, risque de dépréciation, épargne, fuite des capitaux, casse-tête de la conversion des emprunts internationaux » sont autant de problèmes concrets que la France rencontrerait en cas de retour au franc, sans oublier les efforts nécessaires en matière de compétitivité et de financement des dettes. Pour Jean-Claude Juncker, c’est bien de compétitivité dont il est question. « Tous les pays membres de l’Union sont soumis au même taux de change. Et pourtant, l’Allemagne réalise un excédent commercial de près de 200 milliards d’euros quand la France affiche un déficit commercial de près de 70 milliards d’euros, le plus important de la zone euro. » CQFD, les pays membres devraient donc prendre leur destin en main comme le rappelle le chef de file du PPE : « Chacun doit s’occuper de ses problèmes. L’Europe doit être grande sur des questions d’envergure. » La monnaie unique tirerait donc son épingle du jeu commun européen. « C’est une construction en voie de perfection », rappelle Henri de Castries, P-DG d’Axa. Un avis auquel les Français semblent se rallier dans les sondages. Le 22 mai dernier, une enquête Opinionway confirmait que 75 % d’entre eux déclarent ne pas vouloir abandonner la monnaie unique même s’ils sont 40 % à penser que l’euro est plutôt un échec, contre 27 % à considérer que c’est un succès.
Europe = austérité = chômage
L’Europe ploie pourtant sous le poids des critiques. Trop bureaucratique, trop peu démocratique, mauvaise négociatrice, divisée, impuissante, débordée sur ses frontières… Si les eurosceptiques continuent à tirer à boulets rouges sur l’Union, il est plus surprenant de constater qu’ils ne sont plus les seuls à faire le lit du scepticisme. « Essayer d’expliquer que l’Europe va bien serait un défi au bon sens », lâche Alain Juppé, confirmant que les proeuropéens sont de plus en plus nombreux à douter, submergés par les équations populistes, Europe = austérité = chômage, que les chiffres justifient.
La zone euro peine à redémarrer et « l’Europe est en train de perdre de l’importance », confirme Jean-Claude Juncker. Selon Eurostat, le PIB a chuté de 0,4 % en 2013 et le chômage n’a cessé de croître, flirtant dangereusement avec les 12 % en mars dernier. Les prévisions pour 2014 ne sont guère encourageantes. La Commission entrevoit une croissance établie à 1,2 %. Maigre sursaut européen comparé aux États-Unis (+ 2,8 % selon le FMI) et la Grande-Bretagne (+ 2,9 %) qui agitent le drapeau de la reprise. L’Union est à la traîne.
Mais pourquoi la crise dure-t-elle plus longtemps en Europe qu’aux États -Unis ? Pour le P-DG d’Axa, « la monnaie unique a joué un rôle de catalyseur dans les difficultés que les pays de la zone euro ont à entrer dans ce nouveau monde ». Aujourd’hui, l’enjeu pour les États membres de l’Union réside dans « le niveau de croissance qui permettra d’assurer la survie du modèle européen », rappelle celui qui fut le sherpa de Jacques Delors.
Déficit de confiance
Le candidat du centre-droit à la succession de José Manuel Barroso préconise la rigueur budgétaire profonde. « Je ne suis pas un partisan de l’austérité », déclare Jean-Claude Juncker qui aspire s’il est élu président à une Commission qui soit politique mais pas composée de hauts fonctionnaires. « Ils m’ont si souvent freiné dans mon enthousiasme », confesse l’ancien Premier ministre luxembourgeois. De l’enthousiasme, il en faudra une bonne dose à ce realpolitiker pour remettre sur pied une Union qui bat de l’aile. Du chômage à la compétitivité en passant le défi de l’union financière et budgétaire, il ne faudra pas oublier de faire un peu de pédagogie pour restaurer l’image européenne en proie au scepticisme sur ses propres terres. Selon un sondage de l’Eurobaromètre paru en mars 2014, 63 % des Français n’ont pas confiance dans l’UE. Encore moins dans la Banque centrale européenne. À l’automne 2013, ils sont seulement 29 % à déclarer avoir « plutôt confiance » en l’institution pilotée par Mario Draghi qui malgré sa proactivité durant la récession souffre d’un déficit de crédibilité. Pourtant, il y a eu des progrès. L’invention du Mécanisme européen de stabilité, l’avènement de l’Union bancaire, le renforcement du pacte de stabilité et de croissance sont autant d’avancées significatives. Pour Alain Juppé, « il est faux de dire qu’il ne s’est rien passé en matière de gouvernance de la zone euro ces dernières années. Mais il reste encore beaucoup de progrès à faire, notamment en matière de fiscalité qui demeure encore un sujet tabou. »
Et même si la crise n’est pas finie, elle cède du terrain en Europe. Début mai, après l’Irlande, le Portugal a été le second pays à s’affranchir de l’aide de la Troïka composée du Fonds monétaire international, de l'Union européenne et de la Banque centrale européenne. L’Espagne est en phase de stabilisation et la Grèce a dégagé en avril dernier son premier excédent brut primaire d’un montant de 1,5 milliard d’euros. Le premier depuis 2003. C’est un effort considérable qui montre que « la Grèce est en marche vers le point qui lui permettra de se défaire de l’aide extérieur. C’est la preuve que le programme mis en place par la Troïka a fonctionné », confirme plein de confiance celui parti à l’offensive pour rafler le siège de président de la Commission européenne.
Émilie Vidaud
À bas l’euro, vive le franc ?
Dans une interview accordée au Point, Jean-Claude Trichet réaffirme sans ambages que « l’euro est une grande réussite ! ». « Tous ceux qui prédisaient que l’euro ne verrait pas l’année 2013 doivent être étonnés de l’étrange stabilité de la monnaie unique », s’amuse Jean-Claude Juncker, le candidat du centre-droit à la présidence de la Commission. En quinze ans, la monnaie européenne est en effet devenue la seconde devise mondiale et a su maintenir un haut niveau de crédibilité auprès des épargnants en période de crise. Un avis que Franck Dedieu, co-auteur de l’ouvrage Inévitable protectionnisme, ne partage pas. Le rédacteur en chef adjoint de l’Expansion milite en faveur de la sortie de l’euro en agitant la bouée de sauvetage de la dévaluation. Selon lui, « le retour à la souveraineté nationale permettrait de gagner en souplesse ». Autrement dit : agir sur les taux de change. Une alternative contestée par l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce. « La dévaluation n’a rien d’un remède miracle. Il existe d’autres outils d’ajustement comme les salaires, la fiscalité », martèle Pascal Lamy, avant d’ajouter que « sortir de l’euro ou affaiblir l’Union européenne serait une catastrophe ». Une théorie partagée par Frédéric Oudéa, le P-DG de la Société générale, qui met en garde dans une tribune publiée sur lemonde.fr contre le chaos qu’augurerait un retour à la monnaie initiale : « Remplacement des billets et des pièces en circulation, risque de dépréciation, épargne, fuite des capitaux, casse-tête de la conversion des emprunts internationaux » sont autant de problèmes concrets que la France rencontrerait en cas de retour au franc, sans oublier les efforts nécessaires en matière de compétitivité et de financement des dettes. Pour Jean-Claude Juncker, c’est bien de compétitivité dont il est question. « Tous les pays membres de l’Union sont soumis au même taux de change. Et pourtant, l’Allemagne réalise un excédent commercial de près de 200 milliards d’euros quand la France affiche un déficit commercial de près de 70 milliards d’euros, le plus important de la zone euro. » CQFD, les pays membres devraient donc prendre leur destin en main comme le rappelle le chef de file du PPE : « Chacun doit s’occuper de ses problèmes. L’Europe doit être grande sur des questions d’envergure. » La monnaie unique tirerait donc son épingle du jeu commun européen. « C’est une construction en voie de perfection », rappelle Henri de Castries, P-DG d’Axa. Un avis auquel les Français semblent se rallier dans les sondages. Le 22 mai dernier, une enquête Opinionway confirmait que 75 % d’entre eux déclarent ne pas vouloir abandonner la monnaie unique même s’ils sont 40 % à penser que l’euro est plutôt un échec, contre 27 % à considérer que c’est un succès.
Europe = austérité = chômage
L’Europe ploie pourtant sous le poids des critiques. Trop bureaucratique, trop peu démocratique, mauvaise négociatrice, divisée, impuissante, débordée sur ses frontières… Si les eurosceptiques continuent à tirer à boulets rouges sur l’Union, il est plus surprenant de constater qu’ils ne sont plus les seuls à faire le lit du scepticisme. « Essayer d’expliquer que l’Europe va bien serait un défi au bon sens », lâche Alain Juppé, confirmant que les proeuropéens sont de plus en plus nombreux à douter, submergés par les équations populistes, Europe = austérité = chômage, que les chiffres justifient.
La zone euro peine à redémarrer et « l’Europe est en train de perdre de l’importance », confirme Jean-Claude Juncker. Selon Eurostat, le PIB a chuté de 0,4 % en 2013 et le chômage n’a cessé de croître, flirtant dangereusement avec les 12 % en mars dernier. Les prévisions pour 2014 ne sont guère encourageantes. La Commission entrevoit une croissance établie à 1,2 %. Maigre sursaut européen comparé aux États-Unis (+ 2,8 % selon le FMI) et la Grande-Bretagne (+ 2,9 %) qui agitent le drapeau de la reprise. L’Union est à la traîne.
Mais pourquoi la crise dure-t-elle plus longtemps en Europe qu’aux États -Unis ? Pour le P-DG d’Axa, « la monnaie unique a joué un rôle de catalyseur dans les difficultés que les pays de la zone euro ont à entrer dans ce nouveau monde ». Aujourd’hui, l’enjeu pour les États membres de l’Union réside dans « le niveau de croissance qui permettra d’assurer la survie du modèle européen », rappelle celui qui fut le sherpa de Jacques Delors.
Déficit de confiance
Le candidat du centre-droit à la succession de José Manuel Barroso préconise la rigueur budgétaire profonde. « Je ne suis pas un partisan de l’austérité », déclare Jean-Claude Juncker qui aspire s’il est élu président à une Commission qui soit politique mais pas composée de hauts fonctionnaires. « Ils m’ont si souvent freiné dans mon enthousiasme », confesse l’ancien Premier ministre luxembourgeois. De l’enthousiasme, il en faudra une bonne dose à ce realpolitiker pour remettre sur pied une Union qui bat de l’aile. Du chômage à la compétitivité en passant le défi de l’union financière et budgétaire, il ne faudra pas oublier de faire un peu de pédagogie pour restaurer l’image européenne en proie au scepticisme sur ses propres terres. Selon un sondage de l’Eurobaromètre paru en mars 2014, 63 % des Français n’ont pas confiance dans l’UE. Encore moins dans la Banque centrale européenne. À l’automne 2013, ils sont seulement 29 % à déclarer avoir « plutôt confiance » en l’institution pilotée par Mario Draghi qui malgré sa proactivité durant la récession souffre d’un déficit de crédibilité. Pourtant, il y a eu des progrès. L’invention du Mécanisme européen de stabilité, l’avènement de l’Union bancaire, le renforcement du pacte de stabilité et de croissance sont autant d’avancées significatives. Pour Alain Juppé, « il est faux de dire qu’il ne s’est rien passé en matière de gouvernance de la zone euro ces dernières années. Mais il reste encore beaucoup de progrès à faire, notamment en matière de fiscalité qui demeure encore un sujet tabou. »
Et même si la crise n’est pas finie, elle cède du terrain en Europe. Début mai, après l’Irlande, le Portugal a été le second pays à s’affranchir de l’aide de la Troïka composée du Fonds monétaire international, de l'Union européenne et de la Banque centrale européenne. L’Espagne est en phase de stabilisation et la Grèce a dégagé en avril dernier son premier excédent brut primaire d’un montant de 1,5 milliard d’euros. Le premier depuis 2003. C’est un effort considérable qui montre que « la Grèce est en marche vers le point qui lui permettra de se défaire de l’aide extérieur. C’est la preuve que le programme mis en place par la Troïka a fonctionné », confirme plein de confiance celui parti à l’offensive pour rafler le siège de président de la Commission européenne.
Émilie Vidaud