Jean-Marc Savi de Tové. PLC : « L’Afrique francophone croît moins vite que le reste de l’Afrique »
Jean-Marc Savi de Tové
directeur de portefeuille de CDC Group PLC
Décideurs. Quel est le poids actuel du private equity (PE) en Afrique? Comment est-il amené à se développer ? Jean-Marc Savi de Tové. Le PE est une pratique encore récente en Afrique. Plusieurs fonds ont réussi à lever 500 millions de dollars et plus sur les dernières années, et quelques-uns plus d’un milliard. Nous estimons à plus de 13 milliards de dollars les fonds levés entre 2004 et 2009. En Afrique, le PE est, comme ailleurs, un accélérateur de développement, et un des meilleurs vecteurs de bonne gouvernance. En effet, la plupart des marchés boursiers africains sont petits et sans activisme actionnarial important. |
La majorité des investisseurs locaux ont une stratégie de buy and hold, qui ne met aucune pression sur le management des sociétés cotées. Les acteurs locaux du PE voient la corrélation existante entre la bonne gouvernance et la performance financière. D’ailleurs, un grand nombre des plus belles histoires du capitalisme africain, comme Celtel, Ecobank ou Equity Bank, ont reçu, au début de leur existence, l’appui du PE.
Décideurs. Quelle est la typologie des acteurs du PE présents en Afrique ?
J.-M. S. de T. Les acteurs sont nombreux. Et il en naît de nouveau tous les trimestres. CDC Group a investi environ 2 milliards de dollars dans un peu plus de 45 fonds de PE en Afrique.
En Afrique du Sud et du Nord, on retrouve globalement les investisseurs usuels dans les fonds. En Afrique subsaharienne, la dépendance vis-à-vis des institutions financières de développement, telle la nôtre, est encore trop forte. Mais cela change très vite car les performances sont au rendez-vous, et les idées préconçues tombent une à une.
Deux problèmes subsistent néanmoins : il y a encore trop peu d’investissements africains en PE et l’Afrique francophone a pris du retard en la matière. L’Afrique centrale reste d’ailleurs la région où le PE s’est le moins développé.
Sur le premier point, les réformes des fonds de pension dans plusieurs pays vont changer la donne et apporter plus de liquidité. Au Nigeria, on estime que les fonds de pension collectent déjà 5 milliards de dollars par an qui devront être investies sur place ou ailleurs en Afrique.
Sur le second point, les gestions anglo-saxonnes investissent à la Bourse régionale des valeurs mobilière (BRVM) basée à Abidjan. Mais Paris accuse son retard, malgré la proximité culturelle historique. En moyenne, il est vrai que l’Afrique francophone croît moins vite que le reste de l’Afrique.
Décideurs. L’investisseur en capital doit-il adapter son approche en termes d’horizon d’investissement, de rendements attendus, de risque ?
J.-M. S. de T. Analysons ces trois points ensemble. Le risque en Afrique est un problème d’asymétrie d’information. Car l’information n’est pas disponible.
C’est un phénomène très intéressant pour les acteurs du PE les plus implantés, car c’est là qu’ils font leurs emplettes et gagnent de l’argent. Certaines valorisations défient toute théorie économique.
Combien de fonds, en France, sont capables d’afficher des multiples de 10 fois la mise en fin de vie ? Nous avons ce type de performance dans notre portefeuille.
Le seul moyen de réduire le risque associé à un investissement est de l’analyser en profondeur. Prendre une décision à 6000 km de l’actif en 5 minutes n’est pas envisageable.
Les sorties sont plus longues en Afrique, mais comportent des rendements beaucoup plus élevés tout au long de l’investissement. C’est un élément clé de structuration et de décision, qui permet aussi de réduire le risque.
De manière générale, il est intéressant de noter que l’Afrique est un continent désendetté qui dispose de plus de 400 milliards de dollars de réserves de change, soit plus que celles de l’Inde, et qui ne demandent qu’à être investies dans les facteurs de production. Aussi, même si la comptabilité nationale moderne ne sait intégrer le poids de l’informel, et sous-estime le marché potentiel, il faut savoir que le continent regroupe plus de 900 millions de consommateurs.
Décideurs. Quels sont les secteurs qui captent majoritairement les investissements ?
J.-M. S. de T. Il y a cinq ans, on parlait beaucoup des télécoms, de la banque et autres services financiers. Ces secteurs présentent encore une croissance potentielle importante. Par exemple, le taux de pénétration bancaire est encore de moins de 10 % sur le continent.
La classe moyenne africaine se développe très rapidement, même si cela ne permet pas encore d’enrayer la croissance des classes défavorisées. Il faut apporter à tous des solutions de long terme. Les États apprennent dorénavant à faire financer les infrastructures par le privé, notamment par la mise en place d’environnements réglementaires stables et attractifs.
L’électricité et les routes trouvent désormais des investisseurs, et le mouvement s’accélère car la visibilité est plus forte. L’exemple de Kengen, société publique kényane d’électricité, est emblématique. Cette société a en effet récemment levé 400 millions de dollars en un rien de temps sur les marchés.
La consommation, elle, connait une forte envolée. L’immobilier, le ciment, croissent à plus de 15 % par an dans la plupart des pays et ont besoin de capitaux.
Les fonds de PE, selon leur taille et leur stratégie, sont à l’affût d’opportunités dans tous ces secteurs, mais aussi de plus en plus dans les domaines de l’agribusiness, de la logistique, des services pétroliers et même de la santé.
Décideurs. À qui bénéficie le PE en Afrique ?
J.-M. S. de T. Aux investisseurs bien sûr, mais aussi aux populations africaines, via la création d’emplois, les impôts et l’amélioration des pratiques du business. Le PE en Afrique ne subit pas les mêmes problématiques qu’ailleurs, car il s’agit essentiellement d’un marché sans dette. Les PME africaines ont un manque chronique de capitaux longs, et le capital investissement permet d’y répondre. Les institutions de développement ont été un rempart important aux pratiques prédatrices, mais il faut que les institutions africaines prennent le relais, tout en ne se terrant pas dans le tout-réglementé, qui nuit souvent à la créativité.
Décideurs. Quelle est l’approche des investisseurs en Afrique ?
J.-M. S. de T. La Chine est très présente et elle a redonné à l’Afrique une existence et une certaine désirabilité. Mais elle vient aussi avec ses propres problèmes. Les États-Unis sont encore très peu présents, car ils connaissent mal le continent. Il est néanmoins intéressant de voir que de grands fonds américains de PE investissent dans des infrastructures africaines. Le Moyen-Orient, l’Inde, le Brésil, et même Singapour investissent de plus en plus en Afrique. Il y a lieu de penser que le mouvement ne va pas s’arrêter.
Décideurs. Quels conseils donneriez-vous aux investisseurs intéressés par l’Afrique ?
J.-M. S. de T. Je ne pense pas que l’on puisse perdre de l’argent aujourd’hui en investissant intelligemment dans les télécoms, le retail, l’électricité ou la banque en Côte d’Ivoire ou au Nigeria.
Juin 2010