Quelques jours avant son départ du gouvernement pour mener sa campagne régionale, la secrétaire d'État chargée notamment de l'économie sociale et solidaire revient, en exclusivité pour Décideurs, sur les grands enjeux de l'ESS.
Carole Delga (secrétaire d'Etat) : « L’ESS est au cœur des enjeux de demain »
Décideurs. Faut-il voir dans les diférentes formes d’entreprises de l’économie sociale et solidaire l’avenir de l’entrepreneuriat en France ?
Carole Delga. L’ESS représente aujourd’hui 2,4 millions de salariés, soit un emploi privé sur huit, et 10 % du PIB de la France. C’est une économie qui porte des valeurs fortes : l’esprit collectif, la gestion démocratique et participative, le soin accordé au développement local et à l’économie de proximité, l’innovation sociale au service de l’humain, des territoires et de l’économie. Cette dynamique coopérative, qui répond à des besoins locaux, qui crée des emplois non délocalisables et qui forge des bassins de solidarité économique et humaine dans les territoires, initie un cercle vertueux. Ce secteur connaît même de meilleures performances que d’autres, puisqu’il est en phase avec les besoins de la société. Dans les années 2000, alors que l’emploi dans le secteur privé marchand classique n’augmentait que de 4,5 %, l’emploi dans les entreprises de l’ESS augmentait de 24 %, soit plus de cinq fois plus ! C’est une économie résiliente, et qui résiste d’autant mieux qu’elle modère l’emprise des capitaux en s’appuyant sur des investisseurs patients. Ses formes plurielles (associations, coopératives, mutuelles, fondations, entreprises sociales) constituent donc de belles opportunités pour les entrepreneurs qui souhaitent se lancer dans un projet créant de la valeur économique, sociale et territoriale, sur le long terme.
C. D. L’ESS a créé 460 000 emplois depuis 2000, soit en moyenne plus de 35 000 emplois par an. Cette tendance va connaître une formidable croissance, tout simplement parce que l’ESS est une économie résolument tournée vers l’avenir et qu’elle est au cœur des enjeux de demain : ceux de l’innovation, de la fonctionnalité, de l’intergénérationnel, de la transition énergétique, de la solidarité. L’ESS permet de lier performance économique et innovation au service de l’utilité sociale. Elle est le moteur de la dynamique de l’entrepreneuriat social et de l’investissement à impact social qui ne cessent de gonfler leurs effectifs et leurs levées de fonds. Par ailleurs, avec 600 000 salariés de l’ESS à la retraite d’ici 2020, ce secteur va également recruter de nouvelles personnes pour le renouvellement de ses effectifs.
Décideurs. Pourquoi distinguer l’ESS des autres CCI avec un Conseil national des chambres régionales de l’Economie sociale et solidaire ou bien même l’association La Chambre française de l’économie sociale et solidaire ? Dans un souci d’intégration, mais aussi d’économies budgétaires, ne faudrait-il pas rapprocher ces structures de CCI France et des CCI régionales ?
C. D. L’ESS a son histoire propre. De plus, les intérêts et les enjeux des acteurs de l’ESS ne sont pas aujourd’hui ceux qui sont défendus par CCI France et des chambres de commerce et de l’industrie. À de rares exceptions, il n’existe pas de section dédiée à l’ESS. C’est pourquoi, la grande majorité des entreprises de l’économie sociale et solidaire (associations, mutuelles de santé…) n’est pas affiliée aux établissements publics consulaires (chambres de commerce et d’industrie, chambres des métiers et de l’artisanat et chambres d’agriculture). Au niveau national, la création de la Chambre française s’est appuyée sur la disparition simultanée du Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l’économie sociale (Ceges). Il réunissait les grandes familles du secteur, c’est-à-dire les associations, les fondations, les mutuelles et les coopératives. La naissance de la Chambre a permis d’intégrer la représentation des entrepreneurs sociaux. Au niveau local, l’effort de structuration de ces acteurs a été le fait des Cress et du CNCres depuis 2002. Aujourd’hui, 26 Cress couvrent la quasi-totalité du territoire de la métropole et des départements d’outre-mer. Ces organismes présentent encore une forte hétérogénéité dans leur organisation, les missions qu’elles assument et les moyens dont elles disposent. Le CNCres est l’institution légitime pour organiser leur harmonisation.
C. D. Les questions relatives à la fiscalité du travail ne sont en général pas abordées en fonction du statut de l’entreprise employeuse, mais bien en fonction du statut du travailleur (salarié, travailleur indépendant…). Il serait très compliqué d’introduire des biais dans la fiscalité des salariés du secteur de l’ESS, et ce, d’autant plus qu’il existe une grande variété de statuts d’employeurs ayant la qualité d’entreprise de l’ESS. Toutefois, il existe des régimes de fiscalité propres à certains statuts de l’économie sociale et solidaire. Par ailleurs, la question du niveau des rémunérations dans le secteur de l’ESS pourra être abordée sous l’angle du dialogue entre employeurs et salariés. À cet égard, l’article 3 de la loi relative à l’ESS du 31 juillet 2014 prévoit ainsi que le Conseil supérieur de l’ESS adopte, sur proposition de ses membres, un guide définissant les conditions d’amélioration des bonnes pratiques des entreprises de l’ESS, qui portent notamment sur la politique salariale.
Décideurs. En matière de finance solidaire, et afin de faciliter l’orientation de l’épargne des Français vers l’économie réelle et les PME, ne faudrait-il pas organiser des partenariats entre les réseaux de distribution des banques et les grandes plates-formes de crowdfunding spécialisées en equity ?
C. D. De plus en plus de collecteurs d’épargne, bancaire, salariale, en assurance-vie ou via les plates-formes émergentes de finance participative, développent des produits d’épargne solidaire. C’est le cas de plusieurs catégories de collecteurs d’épargne, que ces derniers soient généralistes, ou plutôt spécialisés dans la recherche d’impact social ou d’investissements solidaires. La montée en puissance de l’épargne solidaire est un phénomène très marqué : il traduit notamment l’aspiration de nos concitoyens à orienter leur épargne vers des investissements porteurs de sens, dès lors que cette épargne est investie dans des conditions leur assurant une protection suffisante et conforme à leurs attentes. Chaque forme d’épargne et chaque forme d’investissement présente ses spécificités, ses objectifs, ses modes d’intervention, son public ciblé. Au stade atteint par ces vecteurs de collecte, il est important de veiller à ce que l’épargnant puisse orienter son épargne, dans des conditions de transparence suffisante quant à l’usage qui en sera fait par les investisseurs. Il est aussi nécessaire que l’épargne collectée puisse être utilisée, selon des modalités cohérentes, avec les objectifs affichés par ces mêmes investisseurs. C’est la raison pour laquelle la puissance publique n’a probablement pas vocation, à court terme, à pousser à l’organisation de partenariats entre des acteurs dont les métiers et les spécificités sont très distincts les uns des autres. Ce n’est qu’à terme, et lorsque les pratiques d’investissement solidaire auront atteint une maturité suffisante, que de telles réflexions pourront être engagées, si le besoin s’en fait ressentir.
Interview réalisée par Mathieu Marcinkiewicz
Carole Delga. L’ESS représente aujourd’hui 2,4 millions de salariés, soit un emploi privé sur huit, et 10 % du PIB de la France. C’est une économie qui porte des valeurs fortes : l’esprit collectif, la gestion démocratique et participative, le soin accordé au développement local et à l’économie de proximité, l’innovation sociale au service de l’humain, des territoires et de l’économie. Cette dynamique coopérative, qui répond à des besoins locaux, qui crée des emplois non délocalisables et qui forge des bassins de solidarité économique et humaine dans les territoires, initie un cercle vertueux. Ce secteur connaît même de meilleures performances que d’autres, puisqu’il est en phase avec les besoins de la société. Dans les années 2000, alors que l’emploi dans le secteur privé marchand classique n’augmentait que de 4,5 %, l’emploi dans les entreprises de l’ESS augmentait de 24 %, soit plus de cinq fois plus ! C’est une économie résiliente, et qui résiste d’autant mieux qu’elle modère l’emprise des capitaux en s’appuyant sur des investisseurs patients. Ses formes plurielles (associations, coopératives, mutuelles, fondations, entreprises sociales) constituent donc de belles opportunités pour les entrepreneurs qui souhaitent se lancer dans un projet créant de la valeur économique, sociale et territoriale, sur le long terme.
« L’ESS lie performance économique et innovation au service de l’utilité sociale »
Décideurs. Quelles prévisions de croissance et de création d’emplois attendez-vous de ce secteur dans les prochaines années ?C. D. L’ESS a créé 460 000 emplois depuis 2000, soit en moyenne plus de 35 000 emplois par an. Cette tendance va connaître une formidable croissance, tout simplement parce que l’ESS est une économie résolument tournée vers l’avenir et qu’elle est au cœur des enjeux de demain : ceux de l’innovation, de la fonctionnalité, de l’intergénérationnel, de la transition énergétique, de la solidarité. L’ESS permet de lier performance économique et innovation au service de l’utilité sociale. Elle est le moteur de la dynamique de l’entrepreneuriat social et de l’investissement à impact social qui ne cessent de gonfler leurs effectifs et leurs levées de fonds. Par ailleurs, avec 600 000 salariés de l’ESS à la retraite d’ici 2020, ce secteur va également recruter de nouvelles personnes pour le renouvellement de ses effectifs.
Décideurs. Pourquoi distinguer l’ESS des autres CCI avec un Conseil national des chambres régionales de l’Economie sociale et solidaire ou bien même l’association La Chambre française de l’économie sociale et solidaire ? Dans un souci d’intégration, mais aussi d’économies budgétaires, ne faudrait-il pas rapprocher ces structures de CCI France et des CCI régionales ?
C. D. L’ESS a son histoire propre. De plus, les intérêts et les enjeux des acteurs de l’ESS ne sont pas aujourd’hui ceux qui sont défendus par CCI France et des chambres de commerce et de l’industrie. À de rares exceptions, il n’existe pas de section dédiée à l’ESS. C’est pourquoi, la grande majorité des entreprises de l’économie sociale et solidaire (associations, mutuelles de santé…) n’est pas affiliée aux établissements publics consulaires (chambres de commerce et d’industrie, chambres des métiers et de l’artisanat et chambres d’agriculture). Au niveau national, la création de la Chambre française s’est appuyée sur la disparition simultanée du Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l’économie sociale (Ceges). Il réunissait les grandes familles du secteur, c’est-à-dire les associations, les fondations, les mutuelles et les coopératives. La naissance de la Chambre a permis d’intégrer la représentation des entrepreneurs sociaux. Au niveau local, l’effort de structuration de ces acteurs a été le fait des Cress et du CNCres depuis 2002. Aujourd’hui, 26 Cress couvrent la quasi-totalité du territoire de la métropole et des départements d’outre-mer. Ces organismes présentent encore une forte hétérogénéité dans leur organisation, les missions qu’elles assument et les moyens dont elles disposent. Le CNCres est l’institution légitime pour organiser leur harmonisation.
« La montée en puissance de l’épargne solidaire est un phénomène très marqué »
Décideurs. Il est communément admis que les rémunérations perçues par les salariés de l’ESS sont inférieures à la moyenne des salariés, à poste équivalent. Le levier de la fiscalité ne pourrait-il pas être envisagé pour tirer les rémunérations vers le haut ?C. D. Les questions relatives à la fiscalité du travail ne sont en général pas abordées en fonction du statut de l’entreprise employeuse, mais bien en fonction du statut du travailleur (salarié, travailleur indépendant…). Il serait très compliqué d’introduire des biais dans la fiscalité des salariés du secteur de l’ESS, et ce, d’autant plus qu’il existe une grande variété de statuts d’employeurs ayant la qualité d’entreprise de l’ESS. Toutefois, il existe des régimes de fiscalité propres à certains statuts de l’économie sociale et solidaire. Par ailleurs, la question du niveau des rémunérations dans le secteur de l’ESS pourra être abordée sous l’angle du dialogue entre employeurs et salariés. À cet égard, l’article 3 de la loi relative à l’ESS du 31 juillet 2014 prévoit ainsi que le Conseil supérieur de l’ESS adopte, sur proposition de ses membres, un guide définissant les conditions d’amélioration des bonnes pratiques des entreprises de l’ESS, qui portent notamment sur la politique salariale.
Décideurs. En matière de finance solidaire, et afin de faciliter l’orientation de l’épargne des Français vers l’économie réelle et les PME, ne faudrait-il pas organiser des partenariats entre les réseaux de distribution des banques et les grandes plates-formes de crowdfunding spécialisées en equity ?
C. D. De plus en plus de collecteurs d’épargne, bancaire, salariale, en assurance-vie ou via les plates-formes émergentes de finance participative, développent des produits d’épargne solidaire. C’est le cas de plusieurs catégories de collecteurs d’épargne, que ces derniers soient généralistes, ou plutôt spécialisés dans la recherche d’impact social ou d’investissements solidaires. La montée en puissance de l’épargne solidaire est un phénomène très marqué : il traduit notamment l’aspiration de nos concitoyens à orienter leur épargne vers des investissements porteurs de sens, dès lors que cette épargne est investie dans des conditions leur assurant une protection suffisante et conforme à leurs attentes. Chaque forme d’épargne et chaque forme d’investissement présente ses spécificités, ses objectifs, ses modes d’intervention, son public ciblé. Au stade atteint par ces vecteurs de collecte, il est important de veiller à ce que l’épargnant puisse orienter son épargne, dans des conditions de transparence suffisante quant à l’usage qui en sera fait par les investisseurs. Il est aussi nécessaire que l’épargne collectée puisse être utilisée, selon des modalités cohérentes, avec les objectifs affichés par ces mêmes investisseurs. C’est la raison pour laquelle la puissance publique n’a probablement pas vocation, à court terme, à pousser à l’organisation de partenariats entre des acteurs dont les métiers et les spécificités sont très distincts les uns des autres. Ce n’est qu’à terme, et lorsque les pratiques d’investissement solidaire auront atteint une maturité suffisante, que de telles réflexions pourront être engagées, si le besoin s’en fait ressentir.
Interview réalisée par Mathieu Marcinkiewicz