La décision Wasa v. Lexington du 30 juillet 2009
La décision Wasa v. Lexington du 30 juillet 2009(1), considérée comme la dernière décision fondamentale en matière de réassurance de la Chambre des Lords (remplacée le 1er octobre 2009 par la Cour Suprême du Royaume-Uni), vise à préciser dans quelle mesure le réassureur d’un contrat proportionnel back-to-back peut ne pas être tenu d’indemniser sa cédante.
L’assureur Lexington a été condamné le 4 mai 2000 par la Cour Suprême de Washington à indemniser son assuré producteur d’aluminium Alcoa, à la suite de la pollution de nombreux sites industriels entre 1942 et 1986, au titre d’une police dont la période de garantie était du 1er juillet 1977 au 1er juillet 1980 et dont la loi applicable n’était pas précisée. Appliquant le droit de l’État de Pennsylvanie, la Cour Suprême a jugé que tous les dommages se manifestant pendant la période d’assurance de la police devaient être couverts par celle-ci, même ceux ayant pris naissance avant son entrée en vigueur.
Après avoir transigé avec Alcoa à hauteur de 103 millions de dollars, Lexington a sollicité ses réassureurs londoniens Wasa et AGF au titre d’un contrat de réassurance facultative proportionnelle back-to-back, c’est-à-dire dont les termes et conditions reprenaient à l’identique ceux de la police, sauf s’agissant de la loi applicable. La réassurance était en effet régie par le droit anglais, selon lequel les dommages survenus avant la période d’assurance ne pouvaient être couverts.
La question posée aux juridictions anglaises saisies du litige était donc de déterminer si, comme le soutenait Lexington, la définition par la Cour Suprême de ce qui constituait un dommage couvert par la police s’imposait aux réassureurs dans leurs relations avec leur cédante. Lexington s’appuyait notamment sur les décisions Vesta v. Butcher de la Chambre des Lords du 26 janvier 1989(2) et Groupama v. Catatumbo de la Cour d'appel d'Angleterre et du Pays de Galles du 20 juillet 2000(3) relatives à la portée des clauses dites de warranty, par lesquelles l’assuré s’oblige (par exemple, à surveiller le site 24H/24H), sous peine d’une sanction pouvant être l’annulation de la police. Dans ces deux espèces, l’inobservation par l’assuré de la clause n’avait pas entraîné l’annulation des polices en raison des spécificités des droits norvégien et vénézuélien qui les régissaient respectivement, alors que telle aurait été la sanction en droit anglais, qui gouvernait les contrats de réassurance. Les juges anglais avaient décidé que la portée de la clause de warranty insérée dans ceux-ci devait être celle découlant non pas du droit anglais mais des droits norvégien et vénézuélien tels qu’appliqués par les juridictions locales.
Un contrat de réassurance back-to-back est indépendant
Rejetant la position de Lexington, la Chambre des Lords a jugé le 30 juillet 2009 qu’un contrat de réassurance régi par le droit anglais ne vise pas à indemniser l’assureur de la responsabilité qu’il peut encourir au titre de la police sous-jacente, mais à réassurer le risque garanti par cette dernière. Il s’agit d’un contrat indépendant dont les termes doivent être interprétés selon le droit anglais et au regard du contexte porté à la connaissance des parties au jour de sa conclusion. Si les termes des contrats back-to-back doivent être interprétés de manière cohérente avec ceux de la police sous-jacente, en gardant à l’esprit que l’intention du réassureur est d’assumer une part du risque couvert par la cédante, la différence des droits applicables peut justifier que le contrat de réassurance ait, s’agissant de certaines de ses dispositions, une portée différente de celle de la police sous-jacente, fondant ainsi un refus de garantie du réassureur.
L’inapplication des jurisprudences Vesta et Catatumbo
Cette définition du contrat de réassurance s’appuie sur le principe classique selon lequel une cédante ne peut être indemnisée par son réassureur que si sa demande d’indemnité en respecte les termes. Par une application rigoureuse de ce principe, la décision Wasa v. Lexington entend limiter la portée des jurisprudences Vesta et Catatumbo en précisant que :
- il était possible dans ces deux affaires d’identifier, au jour de la conclusion des contrats de réassurance, le droit étranger qui régissait les polices et d’interpréter en conséquence les dispositions litigieuses des contrats de réassurance. À l’inverse, il était impossible dans l’affaire Wasa, en raison du fait que la police ne prévoyait pas de droit applicable, d’interpréter la clause relative à la période d’assurance insérée dans le contrat de réassurance autrement qu’au regard du droit anglais qui le régissait ;
- l’argumentation des réassureurs dans les affaires Vesta et Catatumbo relative aux clauses de warranty n’était pas pertinente et les dispositions du droit anglais touchant à la période de couverture revêtent un caractère bien plus fondamental que celles concernant les clauses de warranty.
La Chambre des Lords a également observé le 30 juillet 2009, peut-être maladroitement, que la réassurance était, avec l’activité bancaire, une industrie d’exportation générant de très importants flux financiers au profit du Royaume-Uni, et qu’adhérer à la position de Lexington aurait eu des conséquences économiques négatives.
Incertitudes et solution éventuelle
Si l’incertitude des réassureurs quant à la période de garantie pourrait rendre plus difficiles le calcul de la prime et l’élaboration des programmes de rétrocession, a contrario, l’incertitude pesant désormais sur les cédantes quant à la garantie qui leur sera accordée en application du droit anglais peut les rendre réticentes à accepter que ce droit gouverne la réassurance, et impacter les négociations.
La décision du 30 juillet 2009 pose en effet plus de questions qu’elle n’en résout :
- est-il suffisant que la police prévoie expressément un droit applicable ?
- si seules les clauses revêtant un caractère fondamental ne peuvent être interprétées qu’au regard du droit gouvernant la réassurance, comment les identifier avec certitude ?
Lorsque la police n’est pas régie par le même droit que le contrat de réassurance, une solution peut être de prévoir dans ce dernier une clause selon laquelle le réassureur est lié par l’interprétation de la police découlant du droit qui la gouverne. Une telle clause sera-t-elle acceptée par les réassureurs et leurs rétrocessionnaires ?
Avril 2010
1 www.bailii.org/uk/cases/UKHL/2009/40.html
2 www.bailii.org/uk/cases/UKHL/1989/5.html
3 [2000] 2 Lloyd's Rep 350