L'empire du Milieu accélère la mise en route de la Banque asiatique d’investissement. Un projet multilatéral qui séduit jusqu'aux Européens mais irrite les États-Unis.
La Chine place ses pions dans la gouvernance économique internationale
Après un an et demi de road show, la Chine clôt aujourd’hui son tour de table pour trouver les partenaires de sa Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (Asian Infrastructure Investment Bank, AIIB). Ce projet lancé en octobre 2013 entend doter le continent de sa propre institution financière équivalente à la Banque mondiale à l’échelle régionale.
Cette nouvelle organisation sera dédiée aux infrastructures dont l’Asie a cruellement besoin pour accompagner sa croissance. « Dans ces pays où le développement a été surtout méridional pour l’instant, certains investissements étrangers vers l’intérieur du continent sont pénalisés par le manque d’infrastructure », explique l'économiste Sylvie Matelly.
À ce jour, trente-cinq pays devraient donc participer à la fondation de l’AIIB. Si les asiatiques ont répondu présents dès l’annonce de sa création, d’autres n’ont pas tardé à rejoindre le navire. L’Australie, la France, le Royaume-Uni, le Luxembourg, l’Italie et l’Arabie saoudite se sont également inscrits récemment. « L’un des objectifs poursuivi par les États européens est politique : ils ne veulent pas être exclus de la nouvelle gouvernance économique internationale qui se construit avec l’AIIB », analyse Sylvie Matelly.
Rééquilibrer la gouvernance économique internationale
Face aux blocages des réformes des institutions issues de Bretton Woods (FMI et la Banque mondiale en tête), dans lesquelles les pays émergents bénéficient d’un pouvoir restreint hérité des équilibres de 1945, Pékin souhaite en effet accélérer les projets alternatifs. Celui de banque des Brics par exemple devrait aboutir en 2016. Elle sera dotée de cent milliards de dollars dédiés aux programmes de développement, notamment en Afrique.
La concurrence d’une nouvelle banque d’investissement n’a pas inquiété les organisations internationales qui ont accueilli plutôt positivement l’arrivée de l’AIIB. Le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, s’en félicitait déjà en juillet dernier, rappelant « qu’aucune estimation des besoins en infrastructure dans les pays en développement ne commence en dessous de mille milliards de dollars par an ». Certaines institutions envisagent déjà des partenariats. En mars, lors d’une rencontre avec le premier ministre chinois Li Keqiang, le président de la Banque asiatique de développement (ADB), Takehiko Nakao s’est dit « ouvert pour parvenir à une situation “gagnant-gagnant” ».
La taille de l’AIIB, comparée aux besoins du secteur, est une autre raison pour laquelle les institutions établies ne craignent pas ce nouvel acteur. Le McKinsey Global Institute estime en effet qu’entre 2013 et 2030, ce sont plus de 57 000 milliards de dollars qui seront investis mondialement dans les routes, les transports, les télécommunications, l’approvisionnement en énergie et en eau. Avec cinquante milliards de dollars de capitaux, qui pourraient monter jusqu'à cent milliards de dollars, l’AIIB n’est pas de trop. Elle se situe en deçà de la BAD et de la Banque mondiale qui disposent respectivement de 160 milliards de dollars et d’environ 500 milliards de dollars.
Une banque aux standards internationaux ?
L’hostilité à l’encontre de l’AIIB est surtout américaine. Le gouvernement de Barack Obama a conseillé à ses partenaires de ne pas la rejoindre. Une opposition que Jim O’Neill, l’ancien chief economist de Goldman Sachs et inventeur de l’acronyme Bric, a qualifié d’« embarrassante et idiote ». L’ancien président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, s’en est aussi inquiété suggérant que les États-Unis « devraient plutôt pousser la Chine à réussir de sorte que la nouvelle institution soutienne la croissance économique internationale ».
Pour justifier sa position, l’administration américaine a invoqué les incertitudes liées à la gouvernance de l’institution, aucun règlement sur le sujet n’ayant encore été formellement approuvé par les États membres. Les principales difficultés portent sur le respect des standards internationaux en matière de transparence, de gestion des risques et de respect des droits de l’homme et de l’environnement. Face aux critiques et suite à la décision d’alliés européens de rejoindre l’AIIB, Nathan Sheets, sous-secrétaire au Trésor américain en charge des affaires internationales, a cependant nuancé cette position. L’AIIB sera jugée crédible si elle coopère avec les autres institutions internationales.
Pour le moment, le voile n’est toutefois pas levé. Le vice-ministre des finances chinois, Shi Yaobin, a déclaré en fin de semaine dernière que la structure capitalistique n’était pas encore arrêtée, mais qu’il y aurait un traitement différent pour les pays asiatiques et les non-asiatiques. La Chine voulait initialement détenir au moins 50 % du capital. Il semble qu’elle ait dû faire des concessions pour attirer des partenaires européens. L’une des hypothèses relayées par le Wall Street Journal consisterait à accorder 75 % des droits de votes aux nations asiatiques et 25 % aux autres.
Malgré tout, certains veulent croire à la bonne volonté chinoise. « Le fait que certains pays européens s’associent désormais à ce projet me convainc encore davantage que l’AIIB sera dirigée de façon très professionnelle et transparente », a déclaré à la presse le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria, lors d’un déplacement à Pékin le 20 mars.
Jean-Hippolyte Feildel
Cette nouvelle organisation sera dédiée aux infrastructures dont l’Asie a cruellement besoin pour accompagner sa croissance. « Dans ces pays où le développement a été surtout méridional pour l’instant, certains investissements étrangers vers l’intérieur du continent sont pénalisés par le manque d’infrastructure », explique l'économiste Sylvie Matelly.
À ce jour, trente-cinq pays devraient donc participer à la fondation de l’AIIB. Si les asiatiques ont répondu présents dès l’annonce de sa création, d’autres n’ont pas tardé à rejoindre le navire. L’Australie, la France, le Royaume-Uni, le Luxembourg, l’Italie et l’Arabie saoudite se sont également inscrits récemment. « L’un des objectifs poursuivi par les États européens est politique : ils ne veulent pas être exclus de la nouvelle gouvernance économique internationale qui se construit avec l’AIIB », analyse Sylvie Matelly.
Rééquilibrer la gouvernance économique internationale
Face aux blocages des réformes des institutions issues de Bretton Woods (FMI et la Banque mondiale en tête), dans lesquelles les pays émergents bénéficient d’un pouvoir restreint hérité des équilibres de 1945, Pékin souhaite en effet accélérer les projets alternatifs. Celui de banque des Brics par exemple devrait aboutir en 2016. Elle sera dotée de cent milliards de dollars dédiés aux programmes de développement, notamment en Afrique.
La concurrence d’une nouvelle banque d’investissement n’a pas inquiété les organisations internationales qui ont accueilli plutôt positivement l’arrivée de l’AIIB. Le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, s’en félicitait déjà en juillet dernier, rappelant « qu’aucune estimation des besoins en infrastructure dans les pays en développement ne commence en dessous de mille milliards de dollars par an ». Certaines institutions envisagent déjà des partenariats. En mars, lors d’une rencontre avec le premier ministre chinois Li Keqiang, le président de la Banque asiatique de développement (ADB), Takehiko Nakao s’est dit « ouvert pour parvenir à une situation “gagnant-gagnant” ».
La taille de l’AIIB, comparée aux besoins du secteur, est une autre raison pour laquelle les institutions établies ne craignent pas ce nouvel acteur. Le McKinsey Global Institute estime en effet qu’entre 2013 et 2030, ce sont plus de 57 000 milliards de dollars qui seront investis mondialement dans les routes, les transports, les télécommunications, l’approvisionnement en énergie et en eau. Avec cinquante milliards de dollars de capitaux, qui pourraient monter jusqu'à cent milliards de dollars, l’AIIB n’est pas de trop. Elle se situe en deçà de la BAD et de la Banque mondiale qui disposent respectivement de 160 milliards de dollars et d’environ 500 milliards de dollars.
Une banque aux standards internationaux ?
L’hostilité à l’encontre de l’AIIB est surtout américaine. Le gouvernement de Barack Obama a conseillé à ses partenaires de ne pas la rejoindre. Une opposition que Jim O’Neill, l’ancien chief economist de Goldman Sachs et inventeur de l’acronyme Bric, a qualifié d’« embarrassante et idiote ». L’ancien président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, s’en est aussi inquiété suggérant que les États-Unis « devraient plutôt pousser la Chine à réussir de sorte que la nouvelle institution soutienne la croissance économique internationale ».
Pour justifier sa position, l’administration américaine a invoqué les incertitudes liées à la gouvernance de l’institution, aucun règlement sur le sujet n’ayant encore été formellement approuvé par les États membres. Les principales difficultés portent sur le respect des standards internationaux en matière de transparence, de gestion des risques et de respect des droits de l’homme et de l’environnement. Face aux critiques et suite à la décision d’alliés européens de rejoindre l’AIIB, Nathan Sheets, sous-secrétaire au Trésor américain en charge des affaires internationales, a cependant nuancé cette position. L’AIIB sera jugée crédible si elle coopère avec les autres institutions internationales.
Pour le moment, le voile n’est toutefois pas levé. Le vice-ministre des finances chinois, Shi Yaobin, a déclaré en fin de semaine dernière que la structure capitalistique n’était pas encore arrêtée, mais qu’il y aurait un traitement différent pour les pays asiatiques et les non-asiatiques. La Chine voulait initialement détenir au moins 50 % du capital. Il semble qu’elle ait dû faire des concessions pour attirer des partenaires européens. L’une des hypothèses relayées par le Wall Street Journal consisterait à accorder 75 % des droits de votes aux nations asiatiques et 25 % aux autres.
Malgré tout, certains veulent croire à la bonne volonté chinoise. « Le fait que certains pays européens s’associent désormais à ce projet me convainc encore davantage que l’AIIB sera dirigée de façon très professionnelle et transparente », a déclaré à la presse le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria, lors d’un déplacement à Pékin le 20 mars.
Jean-Hippolyte Feildel