Le capital à l’assaut de l’Afrique
L’Afrique devient une cible de choix pour les investisseurs étrangers. Avec une croissance annuelle de plus de 6 % prévue d’ici 2015, le boom des télécoms, un marché des fusions-acquisitions en pleine expansion, entreprises comme fonds perçoivent les opportunités financières du continent. état des lieux.
À l’heure de la Coupe du monde, l’ensemble du continent africain se retrouve sous le feu des projecteurs. Bien que le pays organisateur soit un cas à part, l’occasion nous est donnée de faire le point sur cette région du monde trop souvent stigmatisée pour ses problèmes ou tout simplement oubliée des analyses sur la mondialisation. Pourtant, depuis plus d’une dizaine d’années, le continent attire de plus en plus d’investisseurs, chinois notamment, mais aussi indiens et brésiliens qui cherchent à sécuriser des approvisionnements en matières premières nécessaires à leur propre développement.
Ces flux en provenance du Sud font de plus en plus parler d’eux et réveillent peu à peu les Occidentaux, au premier rang desquels les pays d’Europe qui ont, de par leur histoire, tissé des liens très forts avec le continent africain.
Des affaires à faire
Parler de l’Afrique au sens large n’est pas un exercice évident tant les situations sont disparates entre ses 53 pays. Toutefois, au Nord, au Sud, à l’Est et à l’Ouest du continent, des tendances communes apparaissent. D’après la Banque mondiale, le taux de croissance annuel de l’Afrique subsaharienne pourrait dépasser 6 % en moyenne jusqu’en 2015. Dans chacune de ses sous-régions, l’Afrique émerge comme une terre de croissance durable, et beaucoup considèrent son développement comme inéluctable.
Lionel Zinsou, président de PAI Partners et conseiller spécial du président du Bénin répète à qui veut l’entendre que « l’Afrique est un bon cadre pour les investissements, et c’est prouvé. Si l’on prend l’exemple de quelques groupes français, l’Afrique ressort comme la première zone de résultats de Total, le premier centre de profit d’Air France KLM, la région où France Télécom, avec l’opérateur Sonatel, obtient des records de niveau de génération de cash flow, tout comme Vivendi avec Maroc Telecom, et Lafarge ne démentirait pas la très forte rentabilité dégagée par sa filiale africaine Orascom Cement ». Même son de cloche du côté d’Alexandre Vilgrain, président du Cian (Conseil français des investisseurs en Afrique) pour qui « il faut sortir d’un raisonnement négatif sur l’Afrique, et plutôt considérer que le langage universel qu’est la comptabilité fait ressortir le continent comme une zone de profit pour les entreprises françaises ».
De son côté, Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur, indique qu’elle a été « frappée par la résilience de l’Afrique à la crise » et regrette que « la France, qui est le 4e partenaire commercial du continent avec 8 % de part de marché, sous-estime l’enjeu commercial de cette région du monde ».
De la pénurie de capital long…
Pour attirer les investisseurs, il faut avant tout pouvoir leur offrir un cadre stable et rassurant. Les pays d’Afrique ont péché en la matière pendant de nombreuses années. Ils étaient avant tout considérés, à raison, comme une zone de conflits, d’instabilité politique et économique. Or, au même moment, des pays comme la Chine ont su marier libéralisme économique et autoritarisme politique. Ces deux concepts associés, gage de stabilité pour les investisseurs étrangers, ont détourné l’attention de l’Afrique au profit de l’Asie principalement. Cela étant, les facteurs de risque, politique, économique, apparaissent de moins en moins sur le continent africain. D’autre part, les conflits sont de moins en moins nombreux et la paix progresse.
Il y a beaucoup, et bien souvent tout à faire en Afrique. Le continent apparaît comme le dernier des marchés émergents. Les besoins en infrastructure, en énergie, en formation du capital humain, ou en agriculture sont immenses. Aucun secteur n’échappe aujourd’hui à l’opportunité d’investissement en Afrique. Mais les projets à financer, qui nécessitent des investissements lourds, doivent être mobilisés à long, voire très long terme. |
Car les constructions de centrales électriques, d’autoroutes, d’usines, d’aéroports, de voies de chemin de fer, sont par nature très consommatrices en capital.
Tout le problème reste de financer ces projets, particulièrement longs à rentabiliser. De manière générale, l’Afrique fait face à une pénurie de capital long qui s’explique, selon Anthony Bouthelier, président délégué du Cian, par « le manque de visibilité qui favorise les investissements courts ».
…à l’impatience des actionnaires
Pour Romain Geiss, vice-président du Centre d’analyse et de proposition pour l’Afrique, Capafrique, « il faut penser la présence en Afrique comme une présence de long terme ». Et Pascal Agboyibor, managing partner du cabinet Orrick Rambaud Martel, de préciser que « l’impatience des actionnaires occidentaux ne permet pas aux investissements de se diriger suffisamment vers certaines zones vierges, et laisse la main libre aux nouveaux entrants comme la Chine, l’Inde ou le Brésil ».
Mais l’arrivée de la Chine ou de l’Inde en Afrique doit être vue positivement, car elle permet de refocaliser l’attention d’autres pays, comme la France par exemple.
Il ressort que les pays émergents, aux premiers rangs desquels les Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine), n’ont pas la même appréhension du risque que les pays du Nord. Aussi, « ces pays traitent les Africains en égaux, ce qui n’est pas le cas des Européens, et en particulier des Français », affirme Hakim El Karoui, directeur chez Rothschild & Cie Banque.
L’exemple du marché des télécoms
L’Afrique souffrirait principalement des stéréotypes. Pourtant, le continent avance. Dans un discours prononcé à Washington le 14 avril dernier, le président de la Banque mondiale Robert Zoellick, affirmait : « Durant la décennie qui s’est achevée en 2008, le secteur privé a investi plus de 60 milliards de dollars dans les technologies de l’information et de la communication en Afrique. 65 % des Africains se trouvent maintenant à proximité de services téléphoniques mobiles, et 400 millions de téléphones portables sont utilisés en Afrique. »
L’exemple du marché des télécoms, qui représente entre 6 et 7 % du PIB africain, illustre bien la profondeur des mouvements à l’œuvre dans cette région du monde. D’après une étude sectorielle publiée par la banque d’affaires African Alliance, qui a analysé 14 opérateurs cotés*, sur les cinq dernières années, le nombre d’abonnés à la téléphonie mobile affiche un taux de croissance de 46,5 %. En termes d’investissement dans les infrastructures, les sociétés de télécommunications Vodacom, Telkom SA, Telecom Egypt et MTN ont engagé à elles seules 16,8 milliards de dollars sur la période 2005-2008. Selon les prévisions, ces investissements pourraient atteindre entre 17 et 20 milliards de dollars sur les trois prochaines années et au-delà.
En termes de fusions-acquisitions, les montants sont significatifs, avec une valeur totale de transactions de plus de 17,5 milliards de dollars au cours des cinq dernières années pour le seul marché africain des télécommunications. Sur la même période, plus de vingt opérations d’une valeur moyenne de 250 millions de dollars ont été recensées.
Le rachat par le groupe indien Bharti Airtel de l’opérateur Zain Afrique pour près de 11 milliards de dollars illustre les montants que peuvent désormais atteindre les transactions en Afrique.
Robert Zoellick constate que « certains investisseurs perçoivent les possibilités offertes par l’Afrique et ne sont pas découragés par les risques : après la faillite de Lehman Brothers et la crise grecque, ils savent que les marchés développés présentent aussi des risques ». Le président de la Banque mondiale conclut que « prêter l’oreille aux problèmes des pays en développement n’est plus une simple question de charité ou de solidarité : il y va de notre propre intérêt ».
Une analyse sans doute partagée par Gervais Pellissier, directeur financier de France Télécom, qui a récemment indiqué que « France Télécom compte intensifier sa présence dans les pays à forte croissance et envisage de réaliser des acquisitions ces prochains mois en Afrique et au Moyen-Orient, en privilégiant des cibles de taille moyenne. (…) Si le groupe indien Bharti revendait les actifs africains récemment rachetés au groupe koweïtien Zain, France Télécom les regarderait. »
L’Afrique du XXIe siècle
Pour Pascal Agboyibor, « le fait qu’on parle de plus en plus de projets à plusieurs centaines de millions de dollars dans une variété de secteurs est quelque chose de nouveau ».
Mais pour consolider et accélérer leur croissance, les pays africains ont besoin de lancer des programmes d’infrastructure et d’énergie d’envergure qui seront indispensables au développement d’un secteur privé dynamique. À terme, comme l’imagine Robert Zoellick, « les entreprises chinoises pourraient alors délocaliser la fabrication de produits manufacturés à faible valeur ajoutée, notamment en Afrique, sur les pas des entreprises chinoises de mise en valeur des ressources et de construction. » |
Le monde entier a sa place à prendre dans la mondialisation. Et un continent comme l’Afrique, qui comptera d’ici 2050 plus de 1,6 milliard d’habitants, ne peut tout simplement pas être laissé de côté. Chacun doit trouver son intérêt à ce mouvement. Les pays du Nord y trouveront des relais de croissance, les pays émergés du Sud, le moyen de faire produire à bas coût ou de se développer sur de nouveaux marchés, et l’Afrique, des capitaux et des compétences qui lui font encore défauts.
Robert Zoellick en est persuadé : « L’avenir du développement, c’est une nouvelle vision de l’aide : les fonds souverains et les fonds de pension qui investissent aux côtés du Groupe de la Banque mondiale en Afrique représentent une nouvelle forme d’intermédiation financière. Ce n’est pas de la charité. C’est la recherche d’investissements rentables. »
Juin 2010
* Sonatel, Celtel Zambia, TNM, Access Kenya, Econet Wireless, Starcomms, Maroc Telecom, Orascom Telecom, Telecom Egypt, Mobinil, MTN, Safaricom, Vodacom et Telecom