Nombreuses sont les études sur les mutations du monde du travail qui tendent à faire croire que les Français ne seraient plus engagés au sein de leur emploi. L’institut Montaigne a réalisé une enquête depuis le mois de septembre 2022 qui tord le cou à ces idées reçues. Bertrand Martinot, économiste et auteur de cette enquête, nous éclaire sur les résultats de celle-ci.

 

Décideurs RH. Les Français ont-ils perdu le goût du travail ? Travaillons-nous trop ?

Bertrand Martinot. L’étude que nous avons réalisée sur un échantillon de 5 001 personnes indique que 77% des Français se disent encore satisfaits de leur emploi actuel. En parallèle, 60% considèrent que la charge de travail a augmenté ces cinq dernières années. Le point essentiel que l’étude révèle est qu’il n’existe pas de corrélation entre la quantité de travail déclarée et l’impact sur la  "charge mentale ". On peut être en burn-out à 35 heures ! Il faut envisager le travail davantage sous un prisme qualitatif que quantitatif.

La valeur travail perd-elle de son attrait ?

Si l’on se fie aux nombreux médias et témoignages quotidiens, on a le sentiment que le travail n’est qu’une vallée de larmes : ce ne serait qu’asservissement et souffrances. Si tel est le cas, alors diminuer le temps de travail n’est pas suffisant, ce qu’il faudrait c’est tout simplement arrêter de travailler ! Mais plutôt que de rêver à une société utopique sans travail, nous devrions nous fixer une ambition plus haute et plus réaliste : améliorer sans cesse ses conditions et son organisation. L’étude révèle que les sources d’insatisfaction sont de 46% en matière de rémunération, 42% pour l’absence de perspectives de carrière ou d’évolution, et 38% concernant le manque de reconnaissance. C’est sur ces sujets que nous devons réfléchir collectivement.

Qu’en est-il pour les métiers dits "pénibles" ?

Bien sûr, ces métiers doivent avoir une considération particulière. Toutefois, le nombre des métiers pénibles physiquement diminue tendanciellement. En France, 75% des emplois se trouvent dans le secteur tertiaire et la question porte davantage sur la charge psychique que la pénibilité physique. Du reste, c’est aux partenaires sociaux, surtout dans les branches professionnelles, de s’emparer des sujets de pénibilité. Ce qui est totalement anormal, ce n’est pas tant d’allonger la durée de la vie active pour les populations concernées que de ne pas trouver d’aménagement convaincant en fin de carrière, ne pas savoir leur proposer d’autres fonctions en interne ou en externe, quitte à recourir plus souvent au temps partiel quelques années avant la retraite.

"Plutôt que de rêver à une société utopique sans travail, nous devrions nous fixer une ambition plus haute et plus réaliste : améliorer sans cesse ses conditions et son organisation."

La semaine de 4 jours est-elle un outil pertinent ?

Au vu de l’augmentation de la charge de travail ressentie par les collaborateurs ainsi que de l’augmentation des burn-out, effectuer le même nombre d’heures sur 4 jours plutôt que 5 n’est pas convaincant. Bien sûr, s’il existe des entreprises qui peuvent s’organiser plus efficacement et payer 35h leurs salariés sur 28h, rien ne s’oppose à ce qu’elles le fassent ! L’important est que cela reste entre les mains des entreprises et non de l’État. Réduire par la loi le nombre de jours ouvrés par semaine serait évidemment dramatique.

Les jeunes sont-ils davantage insatisfaits ?

Les chiffres montrent que les seuls domaines pour lesquels la jeunesse a davantage d’exigence ou d’attente, sont les mobilités et l’indépendance professionnelle. Toutefois, pour toutes les classes d’âge, trois fondamentaux sont énoncés lorsqu’on leur demande pourquoi ils se rendent au travail : le lien social, gagner sa vie et la réalisation d’un produit ou service de qualité. Depuis la crise sanitaire, nous évoquons beaucoup la "quête de sens" mais cette revendication ne se traduit pas forcément par une collaboration dans une entreprise engagée, cela se traduit souvent par le respect de ces trois fondamentaux.

"Réduire par la loi le nombre de jours ouvrés par semaine serait évidemment dramatique."

L’utopie qu’avec les progrès techniques et numériques nous aurions de moins à moins à travailler est-elle raisonnable ?

Depuis l’Antiquité, la question se pose. Les "Trente Glorieuses" ont permis à la fois une forte diminution du temps de travail et une bonne progression des salariés grâce aux gains de productivité réalisés. Mais depuis les années 1990, les gains de productivité sont faibles car les promesses de la révolution digitale n’ont pas été tenues. Avec des gains de productivité d’à peine 1% par an, nous ne pouvons pas espérer travailler moins et voir les salaires progresser. La diminution du temps de travail, dans les circonstances actuelles, ne pourrait se faire qu’au prix d’un affaiblissement du pouvoir d’achat et un décrochage économique du pays. Cela ne me paraît être ni la priorité du moment, ni la solution de long terme aux problèmes posés par le travail dans nos sociétés modernes. La question se reposera le jour où, peut-être, une hausse des gains de productivité nous mettra de nouveau devant ce type de choix collectif.

Propos recueillis par Elsa Guérin

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