Xavier Giannoli signe une série inédite et inspirée du livre de Fabrice Arfi. Le sujet ? La fraude à la TVA sur les quotas de carbone des années deux mille. Les deux premiers épisodes D’argent et de sang révélés lundi 16 octobre jettent les bases d’une production au scénario bien ficelé avec des acteurs au jeu implacable.
D’argent et de sang, ou comment expliquer le carrousel TVA en 20 secondes
Divertir les amateurs de séries avec une affaire de fraude à la TVA. La série D’argent et de sang diffusée par Canal + depuis le 16 octobre 2023 prouve que le défi n’a rien d’impossible. Écrit par Xavier Giannoli et adapté du livre du même nom publié en 2018 par Fabrice Arfi, journaliste à Médiapart, le feuilleton revient sur ce qui a pris le nom de “casse du siècle” : une escroquerie à la TVA sur le système desdits "droits à polluer". L’histoire avait défrayé la chronique en raison des montants en jeu : 1,6 milliard d’euros de perte fiscale pour la France et 5 milliards pour l’Union européenne. L’affaire rejouée par Vincent Lindon (Simon Weynachter), Niels Schneider (Jérôme Attias) et Ramzy Bedia (Alain Fitoussi) se déroule à la fin des années deux mille, lors de l’émergence du marché européen des quotas carbone, instauré par une directive de 2003 pour faciliter le respect par les États membres de leurs engagements de réduction de gaz à effet de serre (GES) découlant du protocole de Kyoto. À l’époque, l’Union européenne (UE) visait une réduction des émissions de GES de 40 % en 2030 par rapport à 1990, contre 55% depuis 2020.
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“Il y a peut-être un coup bordeline à faire”
La bande de fraudeurs menée par Jérôme Attias et Alain Fitoussi voit dans ce “marché du CO2” un “Far West“, “des tonnes et des tonnes d’argent qui vont circuler partout” et surtout l’application de la TVA au taux de 19,6 % aux quotas carbone. Une aubaine pour les délinquants rodés au carrousel TVA. Cette fraude, comme l'explique le personnage de Vincent Lindon en vingt secondes, consiste à faire circuler des biens et des services, par le biais de sociétés fictives, au sein de l'Union sans reverser la TVA finale aux États, pour plutôt l’envoyer sur des comptes off-shore. Elle coûterait à l’UE une cinquantaine de milliards d’euros chaque année, selon une estimation d’un consortium de médias européens de 2019. Pour les investigateurs de l’évasion de TVA, le marché carbone est l’occasion de déployer leurs combines à très grande échelle. À l’époque, il suffit de fournir son identité et son adresse pour entrer sur le marché rebaptisé Overgreen par Xavier Giannoli. Des formalités purement déclaratives. L’accès très peu contrôlé à cette Bourse du carbone gérée à 40 % par la Caisse des dépôts et consignations et à 60 % par la société BlueNext s’est révélé “désastreux” souligne le rapport de la Cour des comptes de 2012.
L’ensemble des quotas de ce marché financier où les entreprises peuvent acheter et revendre des droits à polluer est plafonné par l’UE en fonction de ses objectifs climatiques. Les entreprises reçoivent des autorisations de droit à polluer de x tonnes. Pour calculer le taux d’émission des entreprises, “on se fie aux déclarations des entreprises qui passent par des cabinets d’audit” pour évaluer leur niveau de CO2 rejeté, explique-t-on dans la série. Un procédé qui fait tiquer l’enquêteur Simon Weynachter. En cas de dépassement, les sociétés doivent acheter des quotas supplémentaires auprès de celles qui se trouvent en situation excédentaire. Puis en laissant la loi de l’offre et la demande ajuster le prix du carbone, les concepteurs du marché du CO2 veulent inciter les entreprises à réduire leurs émissions. Plus le plafond de quotas est bas, plus le CO2 est rare et plus le prix des droits à polluer est élevé. Derrière l’ambition affichée de lutte contre le changement climatique, il y a “un contexte de rivalité entre la place de Paris, qui souhaitait devenir leader mondial des échanges de quotas de CO2 au comptant, et la place de Londres”, souligne la Cour des comptes dans son rapport sur le sujet en 2012. “Peut-être que l’écologie ce n’était qu’un prétexte pour produire un nouveau produit financier ?”, s’interroge Simon Weynachter lors de son audition dans le cadre de l’information judiciaire, le fil conducteur de la série.
Eldorado très peu surveillé
La Caisse des dépôts et consignation a bien renforcé un peu sa vigilance après la détection des premiers cas de fraude à l’automne 2008, mais cela n’a pas suffi à décourager les fraudeurs. Le volume des transactions sur le marché du CO2 14 fois supérieur aux prévisions de l’été 2008* n’a pas davantage éveillé les soupçons des cogestionnaires de la Bourse au carbone. Alain Fitoussi et Bouli, les deux escrocs de Belleville, interprétés respectivement par un Ramzy sulfureux et David Ayala partent à la conquête de cet eldorado très peu surveillé. Pour financer leur escroquerie, ils débusquent au détour d’un tournoi de poker Jérôme Attias – qu’aurait dû jouer Gaspard Ulliel, brillamment remplacé par Niels Schneider – un trader marié à la fille d’un riche magnat de l’immobilier. Si ces trois personnages sont directement inspirés de la réalité, Simon Weynachter, le directeur du service qui enquête sur la fraude joué par Vincent Lindon sort tout droit de l’imagination de Xavier Giannoli. C’était pour lui une façon d’être dans le récit, déclare-t-il à une conférence de presse en septembre dernier.
“Les délinquants ont compris qu’il était plus facile d’agir directement sur les marchés financiers que de braquer une banque”
On retrouve chez Simon Weynachter une forme de répulsion pour l’injustice – qui n’est pas sans rappeler la tirade (“c’est terrible…“) de Vincent Lindon dans La Belle verte – et la droiture absolue d’un représentant de l’État incorruptible. “Je n’ai rien à voir avec vos amis flics. Il n’y a pas de service ou d’arrangement possible avec moi.” L’ancien magistrat dirige le nouveau service national des douanes judiciaires, rattaché au ministère de l’Économie et des Finances et au service des douanes. Un service placé sous l’autorité d’un magistrat, la garantie d’une indépendance totale (Simon Weynachter insiste sur ce point) et capable de traquer l’argent dans le monde entier. “Les délinquants ont compris qu’il était plus facile d’agir directement sur les marchés financiers que de braquer une banque”, explique le héros de la série devant l’Assemblée nationale. Et de rappeler que la lutte contre la fraude fiscale et contre le détournement de TVA est devenue essentielle pour sauver nos démocraties. Quant à la fin de la série, elle est révélée dès le début : “Cette histoire, elle se termine dans un bain de sang avec des milliards partis en fumée.“
Anne-Laure Blouin
*Rapport public annuel de février 2012 de la Cour des comptes