Une protection renforcée des lanceurs d'alerte à l’échelle européenne
Panama Papers, Mediator, Dépakine, Wikileaks, affaire UBS… Ces dernières années ont vu émerger de nombreux scandales révélés par ce qu’on appelle désormais des lanceurs d’alerte, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui décident de prendre la parole pour dénoncer, parfois au péril de leur vie, des dysfonctionnements, éviter des crises sanitaires, écologiques ou économiques, ou encore divulguer des informations confidentielles. Face à ce phénomène, l’Union européenne a décidé de légiférer afin de leur créer des conditions de protection uniformes. Jusqu’à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de la directive UE 2019/1937 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, aucune législation européenne n’encadrait spécifiquement la protection des lanceurs d’alerte, si ce n’est l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à la liberté d’expression ou l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a grandement contribué à préciser la notion de lanceur d’alerte, cependant la protection au sein des États membres de l’Union européenne restait très fragmentée. Avant l’entrée en vigueur de cette directive, seuls dix pays de l’Union disposaient d’une législation complète en matière de protection des lanceurs d’alerte : France, Hongrie, Irlande, Italie, Lituanie, Malte, Pays-Bas, Slovaquie, Suède et Royaume-Uni (avant sa sortie officielle de l’UE le 31 janvier 2020). De plus, dans un nombre important d’États membres, il n’existait aucune procédure interne ni externe de signalement, ce qui ne permettait pas de préserver la confidentialité et empêchait le suivi des alertes.
Une protection harmonisée et renforcée
La directive européenne sur les lanceurs d’alerte apporte une nouveauté et quelques précisions, en offrant notamment une protection renforcée et plus efficace aux dénonciateurs par le biais de l’instauration d’un cadre juridique uniforme. Parmi celles-ci, on trouve l’interdiction des représailles visant les auteurs de signalement, l’instauration de mesures de protection contre d’éventuelles sanctions visant ces lanceurs d’alerte, l’extension de la protection aux personnes qui postulent à des offres d’emplois, aux anciens employés, à toutes les personnes qui soutiennent le lanceur d’alerte, y compris les journalistes, ou encore le choix de signaler un comportement portant atteinte à l’intérêt public ou contraire au code de conduite soit en interne à l’entreprise concernée soit directement aux autorités nationales compétentes. Dans ce dernier cas, si aucune réponse appropriée n’a été apportée à la suite du signalement initial du lanceur d’alerte ou si ce dernier estime qu’il existe une menace imminente pour l’intérêt public, il pourra bénéficier d’une protection prolongée s’il décide de révéler publiquement les informations dont il dispose. En outre, si le champ d’application matériel de la directive vise les signalements d’infractions au droit de l’Union dans certains domaines spécifiques - la fraude fiscale, le blanchiment d’argent, les infractions liées aux marchés publics, la sécurité des produits et des routes, la protection de l’environnement, la santé publique et la protection des consommateurs et des données -, les États membres peuvent étendre l’application des dispositions nationales à d’autres domaines en vue de garantir un cadre complet et cohérent sur le plan national à l’exception de la défense, de la sécurité des États et des informations classifiées qui sont exclues du champ d’application de la directive.
Un processus de transposition globalement en progression
Le réseau international Whistleblowing International Network composé de correspondants dans les 27 États membres de l’Union européenne, a mis en ligne une plateforme de suivi pour observer les progrès de la transposition de la directive européenne sur le plan national. Les données au 21 juillet 2021 montrent que 22 des 27 États membres ont entamé leur processus. Parmi eux, certains ont lancé des consultations avec la société civile. C’est le cas notamment de l’Espagne, de la Slovaquie, de l’Estonie, de la Roumanie ou encore de la Croatie. Dans d’autres pays comme la Belgique, un deuxième projet de loi a été présenté à la Chambre des représentants. En Italie, le parlement a approuvé la loi de délégation qui oblige le gouvernement à transposer la directive de l’Union européenne sur la dénonciation.
Ces dernières années ont vu émerger de nombreux scandales révélés par ce qu’on appelle désormais des lanceurs d’alerte.
En France, une proposition de loi a été soumise au parlement. En République tchèque et en Allemagne, l’adoption soulève de vifs débats entre le pouvoir et les partis de l’opposition. Le Danemark, quant à lui, tire son épingle du jeu en étant le premier État membre de l’Union européenne à avoir adopté, le 24 juin 2021, une nouvelle législation pour mettre en oeuvre la directive européenne sur les lanceurs d’alerte. A contrario, cinq États membres n’ont pas encore engagé leur procédure de transposition dont Malte, Chypre, le Luxembourg, la Hongrie et l’Autriche.
État des lieux en France : de la loi Sapin 2 à la directive européenne
La France a adopté en 2016, avec la loi dite Sapin 2, une législation pionnière en matière de protection des lanceurs d’alerte. Ses dispositions ont d’ailleurs inspiré la directive européenne. Toutefois, la protection prévue par ce texte reste néanmoins limitée. Le système actuel impose en effet aux lanceurs d’alerte de suivre a priori une procédure de signalement interne auprès de leur employeur avant d’envisager une procédure externe en cas d’absence de réaction dans un délai raisonnable, lorsqu’ils sont témoins de dysfonctionnements au sein de l’entreprise. Ce qui n’est pas sans conséquence, car il n’est pas rare qu’un salarié soit licencié pour avoir lancé l’alerte. L’un des lanceurs d’alerte français à l’origine de l’affaire UBS, Nicolas Forissier, en a fait les frais en dénonçant des faits de démarchage bancaire illégal et de blanchiment de fraude fiscale. Si, aux yeux de la loi, un tel licenciement est discriminatoire et peut être annulé, cette situation n’en reste pas moins décourageante, car elle expose généralement l’auteur du signalement à des poursuites judiciaires notamment pour diffamation ou encore pour violation du secret professionnel. Antoine Deltour, qui a révélé le scandale Luxleaks n’a d’ailleurs obtenu le statut de lanceur d’alerte qu’après quatre ans d’une bataille judiciaire acharnée. D’autre part, la crainte de la divulgation de secrets d’affaires dont la protection a été renforcée en 2018 par une loi du même nom a créé de nombreuses réticences vis-à-vis des signalements externes. La transposition de la directive européenne ouvre donc la possibilité d’une réflexion sur les améliorations à apporter au dispositif français. Le projet de loi déposé au parlement par le député Sylvain Waserman corrige d’ailleurs ses principales lacunes en supprimant la nécessité pour les dénonciateurs d’agir de manière désintéressée, en élargissant les immunités contre les poursuites pénales des dénonciateurs et en renforçant les sanctions en cas de représailles pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement.
Yannick Tayoro