Prendre en main un refuge de geeks masculins, le féminiser et le développer à vitesse grand V : tel est le travail de longue haleine mené par Sophie Viger, à la tête du réseau d’écoles 42 depuis 2018.
Sophie Viger, la formatrice
En juillet 2013, Xavier Niel inaugure en grande pompe l’école 42 dans le 17e arrondissement de Paris. Objectif de cet établissement hors norme ? Incarner les plus beaux côtés de la tech en formant des jeunes, bien souvent sans diplômes, aux métiers du développement informatique. Mais derrière cette belle success-story, les failles de l’univers geek apparaissent : propos machistes, misogynie et références à la pornographie sont la norme. Le tout couvert, voire encouragé par la direction. En 2018, le patron de l’école, Nicolas Sadirac, est évincé sur fond de micmacs financiers et d’affaires de mœurs. Xavier Niel cherche un mouton à cinq pattes pour relancer l’école : une femme, pro de la com, dotée d’une expérience d’enseignement et de direction d’établissements tech. Une opportunité pour Sophie Viger qui coche toutes les cases.
Légitimité totale
La quadra, fille d’une enseignante de gym et d’un colonel des sapeurs-pompiers de Paris est passionnée d’informatique et de science-fiction depuis l’enfance. Diplômée de musicologie et de biologie, elle commence à enseigner le code à 23 ans. Puis gagne peu à peu en compétences. En 2008, elle est nommée directrice pédagogique de l’Institut d’études supérieures des arts (IESA). Sa mission ? Concevoir la pédagogie, enseigner la programmation, l’UX design et la gestion de projet, tout en chapeautant la communication de l’établissement. En 2013, elle prend la tête de la Web@cademie, fondée trois ans plus tôt par l’Epitech pour s’adresser à des jeunes sortis du système scolaire qui souhaitent apprendre à coder. Deux ans, plus tard, elle déploie, toujours pour le compte de l’Epitech, la Coding Academy, une formation de six mois à raison de douze heures de cours par jour. Autant dire que lorsque Sophie Viger apprend que Nicolas Sadirac est sur la sellette, elle postule "après deux verres de vin" comme elle l’explique à Forbes.
Près d'un tiers des étudiants de l'école 42 sont des femmes
Féminiser les geeks
Une fois en poste, elle change de fond en comble le fonctionnement de l’école 42 avec une idée forte : féminiser les lieux pour obtenir à long terme une parité. Le chantier est immense puisque, lors de sa prise de poste, seuls 14 % des étudiants sont des femmes. Aussitôt la nouvelle directrice se met au travail : la communication met en avant les femmes sur ses visuels pour bien montrer que l’univers geek n’est pas réservé aux mecs. À la cantine les menus deviennent plus healthy, des sèche-cheveux sont installés dans les douches… Au-delà de ces changements "cosmétiques", Sophie Viger met en place des process et des structures disciplinaires pour identifier et sanctionner les comportements problématiques. Dès sa prise de fonction, la nouvelle directrice met également fin à la règle qui réservait l’accès à l’école aux moins de 30 ans afin de permettre aux personnes qui se réorientent sur le tard, un profil plutôt féminin, de candidater. Autre rupture, des quotas de femmes sont instaurés lors de la « piscine », processus de sélection des futurs admis.
Des chiffres éloquents
Après quasiment un quinquennat à la tête du « bébé » de Xavier Niel, Sophie Viger peut se vanter d’avoir féminisé son école. La proportion de femmes était de 7 % lors de la création, elle est à un tiers aujourd’hui. La relève est assurée ! De quoi réjouir la directrice qui a aussi fortement internationalisé le réseau des écoles 42 qui compte près de 15 000 étudiants répartis dans une quarantaine de campus situés dans 25 pays.
Lucas Jakubowicz