Si l’urgence de la situation climatique de la planète et la prise de conscience de l’importance de l’environnement dans nos vies ne font plus aucun doute, les actions désordonnées de certains introduisent du bruit là où il nous faut sérénité et discernement : la seule chose qui compte est de réduire durablement et massivement notre empreinte environnementale, et, pour le monde de l’entreprise, la DSI a un rôle central à jouer dès maintenant.

Prise de conscience et dogmatisme environnemental

Nous vivons une époque vraiment singulière, où la bonne pensée dogmatique l’emporte sur tout le reste et en particulier lorsqu’il s’agit d’écologie et de protection de l’environnement. Cela fait plusieurs années pourtant qu’il est absolument évident que l’action humaine est à l’origine d’un dérèglement climatique qui nous conduit à la catastrophe à moyen terme et qu’il nous faut tous agir à notre niveau.

Ce qui est moins évident en revanche, c’est la méthode pour résoudre cette équation à 10 000 inconnues. Ne nous mentons pas, tenter de faire le buzz avec des actions spectaculaires et totalement incongrues ne va strictement rien changer, ne serait-ce que parce que la méthode ne permet évidemment pas d’adresser ce qui doit être ciblé en priorité absolue, c’est-à-dire les grandes masses de pollution.

"Les entreprises qui prennent aujourd’hui les enjeux du numérique durable trop à la légère courent juste le risque de se faire disqualifier par le marché"

Prenons l’exemple du numérique, il est établi depuis 2019 par l’Arcep et le Shift Project que le numérique représenterait entre 3 et 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde, soit presque autant que l’aviation civile, et cette proportion va vraisemblablement croître de l’ordre de 8 %1 par an et atteindre jusqu’à + 60 % d’ici à 2040 pour la France, soit 6,7 % de l’empreinte carbone nationale2 avec, notamment, la démocratisation de technologies comme la 5G ou l’IoT qui favorisent toujours plus d’usages et toujours plus de devices et d’équipements pour les supporter. 

Les activistes vont-ils, dès lors, commencer à immoler par le feu leurs propres smartphones dernier cri ? Ceux-là mêmes qui leur permettent de diffuser en live leurs actions sur les réseaux sociaux ? Compliqué de rester cohérent et de ne pas effriter seulement la partie immergée de l’iceberg (qui fond).

Du numérique au numérique durable (se retransformer ou mourir)

Depuis plus d’une dizaine d’années, le numérique est devenu incontournable dans notre vie quotidienne, et les entreprises ont toutes, sans exception, engagé a minima une transformation digitale de leurs opérations pour répondre aux attentes et aux nouveaux usages numériques de leurs clients. Cependant, vu les prévisions sur l’augmentation de l’impact du numérique sur les années à venir, elles vont devoir très vite changer leur paradigme de transformation pour mettre cette notion de numérique durable au cœur de leur plan stratégique.

De plus en plus de grands groupes commencent à y penser, inscrivant parfois dans leurs plans pluriannuels une vision sur la raison d’être de leur proposition de valeur à la société, certaines prenant des engagements de neutralité carbone, d’autres allant même jusqu’à devenir entreprises à mission. Les niveaux de maturité restent ceci dit encore très hétérogènes, déjà parce que certains secteurs comme le transport, les industries électro intensives ou l’énergie sont naturellement plus sensibilisés que d’autres ; ensuite, parce que si la prise de conscience est massive, la traduction en actions concrètes et efficaces est moins immédiate. C’est pourtant bien le cœur du sujet : comment engager son groupe dans une démarche qui montrera de vrais résultats sans se faire taxer de "green washing", en particulier face à la pression sociale qui ne fait que grandir avec l’augmentation de l’impact du numérique. 

Les entreprises qui prennent aujourd’hui les enjeux du numérique durable trop à la légère courent le risque de se faire disqualifier par le marché dans un avenir proche. En effet, si l’acte d’achat des clients s’avère de plus en plus conditionné au respect de véritables engagements environnementaux, et si l’attraction puis la fidélisation des jeunes talents hypersensibilisés depuis leur plus jeune âge à l’environnement et hyperexposés au numérique deviennent plus difficiles, l’entreprise se retrouve mécaniquement en situation de décroissance. Être neutre carbone en achetant de la compensation de ses émissions ne suffira donc clairement pas longtemps.

Le numérique durable implique une vraie transformation du modèle IT des entreprises

Dès lors, comment nos entreprises peuvent-elles travailler efficacement pour rendre le numérique plus durable ? En termes de gouvernance, la gestion des opérations numériques et, de ce fait, la maîtrise de leurs impacts environnementaux, est du ressort de l’IT. C’est donc à la Direction des services informatiques (DSI) qu’il incombe de piloter et de suivre cet impact à travers ses infrastructures réseaux, ses data centers ou encore ses équipements informatiques divers, mais aussi indirectement ceux de ses partenaires.

L’objectif pour les équipes de la DSI doit être de cibler ses efforts là où le gain potentiel est le meilleur. Cela fait de nombreuses années que des plans de rationalisation des infrastructures et d’optimisation du stockage ont été engagés, et cela contribue indirectement à la baisse de l’impact numérique, même si le premier enjeu était certainement plus économique qu’environnemental.

En revanche, le développement des services Cloud ouvre un autre débat structurant d’un point de vue environnemental pour les entreprises : cela déporte mécaniquement une partie de l’impact numérique chez les hyperscalers, qui sont aujourd’hui sous le feu des critiques de par leurs rôles indéniables de catalyseurs numériques. Pourtant, vu la masse de mutualisation et leurs moyens colossaux, ne seront-ils pas toujours plus vertueux d’un point de vue énergétique que si l’ensemble des DSI continuait à maintenir et faire grossir leurs data centers privés ?

Cela ne doit pas absoudre les équipes IT de mettre en place une gouvernance permettant de contrôler la consommation de ces services par leurs métiers. En effet, même si l’hébergement est déporté sur le cloud, l’explosion de l’usage de ces services a, lui, un impact direct sur l’environnement, et la frugalité de l’usage de leurs services restera toujours antinomique du business model des "cloudeurs".

"Faire porter la responsabilité du numérique durable par la direction des achats, est symptomatique d’une organisation qui considère que l’impact environnemental est d’abord chez ses fournisseurs avant d’être chez soi"

Ceci dit, en termes de grandes masses, en France, les réseaux 5G et les data centers des géants du numérique représentent moins de 20 % de l’impact environnemental3. Les 80 % restant reviennent aux équipements informatiques, avec notamment la prise en compte de l’extraction massive à l’autre bout du monde des métaux rares nécessaires à leur fabrication comme le lithium, le silicium ou encore le tantale entre de nombreux autres, avec, de surcroît, une dépendance massive à certaines nations et des conditions d’extraction parfois inhumaines. Un des meilleurs leviers d’optimisation de l’empreinte environnementale est donc la capacité que peuvent avoir les gestionnaires de parc informatique à allonger la durée de vie des équipements des collaborateurs, mais sans aller jusqu’à trop dégrader la productivité ou la rétention. Comparativement, ce type d’actions présentent un retour sur investissement en termes d’impact bien plus avantageux que les usuelles campagnes de mail cleaning qui, pour le coup, sont plus symboliques en termes de résultats, mais restent un exercice intéressant pour sensibiliser et mobiliser les équipes sur le thème.

En revanche, observer actuellement des entreprises faire porter la responsabilité du numérique durable par la direction des achats, est symptomatique d’une organisation qui considère que l’impact environnemental est d’abord chez ses fournisseurs avant d’être chez soi et c’est faire fi de la gestion de son parc d’équipements et de serveurs et des autres actions possibles à leur niveau.

Les partenaires informatiques comme les infogérants, les éditeurs d’applications logicielles ou les hyperscalers participent effectivement aux opérations de l’entreprise. La part de leur impact et la manière dont ils traitent ce sujet sur leurs propres opérations doivent effectivement être prises en compte dans l’analyse de l’impact global de l’entreprise, mais cela ne reste qu’une des composantes de la mesure de l’empreinte environnementale.

La mesure pour la mesure ne sert à rien, seule la réduction de l’empreinte environnementale compte

La cible ultime reste donc de réduire l’empreinte numérique de son entreprise, et pour savoir quel a été l’impact positif (ou négatif d’ailleurs) de l’ensemble des actions menées au sein de sa structure, il faut impérativement mesurer l’état initial de la consommation de son IT et pouvoir reproduire cette mesure régulièrement pour contrôler les effets des actions engagées. La mesure est donc indispensable mais ne restera jamais qu’une étape, en particulier pour les plus grandes entreprises dont le nombre d’applications et de machines est vraiment trop important pour la réaliser de manière fine et unitaire. Ce qui est important ce n’est pas tant de connaître au kilogramme d’équivalent Co2 près l’impact de son IT, c’est surtout d’être en capacité d’avoir une même méthode de calcul pour l’ensemble de son périmètre et d’en extrapoler une valeur qui deviendra le niveau de référence de mesure pour piloter les actions de correction.

L’arsenal de leviers dont disposent les DSI pourra ensuite être priorisé et déployé, idéalement en travaillant d’abord les grandes masses comme la prolongation de la durée de vie des équipements, l’écoconception ou encore la frugalité des projets et fonctionnalités, en les mixant en parallèle avec d’autres actions plus symboliques mais fédératrices comme la sensibilisation ou la formation, sans oublier de travailler sur sa performance intrinsèque. Plus l’IT est efficient sur les opérations de l’entreprise, plus son impact environnemental sera optimisé.

Il est donc urgent pour les entreprises de sortir de la démonstration et de l’incantation en engageant des actions concrètes et efficaces adossées à une stratégie lisible et formalisée, seul moyen de juguler l’explosion des usages induits par leurs services numériques. Aucune échappatoire n’est envisageable car, si elles ne s’engagent pas avec sérieux dans cette démarche et ne s’attachent qu’à respecter les nouvelles réglementations en vigueur, le marché et leurs clients risquent de le leur rappeler et bien plus vite qu’elles ne le pensent.

[1] Source ARCEP et The Shift Project 2019

[2] Source Citizing dans le cadre de la mission d’information du Sénat sur l’empreinte environnementale du numérique

[3] Source ARCEP Rapport d’étape, synthèse de la plateforme de travail et propositions pour un numérique soutenable

SUR L'AUTEUR

Après vingt années passées au sein de grands cabinets de conseil internationaux, Olivier Lacombe rejoint Sopra Steria Next fin 2019 en tant que Partner en charge de l’IT Advisory au sein du Centre d’Expertise Digital. Comme il n’y a pas de transformation digitale possible sans avoir un IT à l’avenant, Olivier utilise sa double compétence de transformation digitale et de stratégie IT pour valoriser les choix et les investissements technologiques permettant de supporter la stratégie d’entreprise. Au sein des équipes IT Advisory, Olivier pilote une practice Green IT permettant à Sopra Steria Next d’accompagner ses plus grands clients publics et privés sur leurs programmes de transformation vers un numérique plus durable, depuis la mesure de leur empreinte environnementale avec des outils ad-hoc jusqu’à la définition et mise en œuvre du plan d’actions permettant de la réduire.

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Olivier Lacombe

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