Le contexte économique a rarement été aussi changeant qu’aujourd’hui. Depuis la transformation numérique jusqu’à la responsabilité sociétale, les entreprises doivent faire des efforts colossaux pour anticiper et évoluer. Tour d’horizon.

Il ne fait plus guère de doute que la transformation numérique représente un enjeu fondamental pour le futur des entreprises, quelle que soit leur taille. Nous sommes désormais entrés de plainpied dans l’ère du numérique, avec son cortège de technologies appelées à modifier profondément les usages et les contextes. Cloud computing, intelligence artificielle et machine learning, internet des objets, réalité virtuelle ou big data et même impression 3D sont régulièrement évoqués, parfois comme des outils prometteurs, parfois aussi comme des menaces, à l’instar de l’astrophysicien Stephen Hawking qui estimait que "le développement d’une intelligence artificielle complète pourrait mettre fin à l’humanité".

Un avis partagé par d’autres noms illustres comme Elon Musk ou Eric Horvitz, directeur scientifique de Microsoft. Les doutes relatifs à ces nouvelles technologies ne sont pas circonscrits à quelques érudits ni aux spécialistes, comme le montre la peur irraisonnée de la 5G, un système de transmission par ondes dont le principe est pourtant assez banal.

Plus préoccupant, un sondage Ifop effectué pour l’Académie des technologies en décembre dernier montrait qu’une majorité de Français, soit 56%, se déclarent inquiets par rapport aux nouvelles technologies. Un chiffre en augmentation de 18 points par rapport à 2018.

Selon l'Ifop, 56% des Français se déclarent inquiets par les nouvelles technologies. Un score en hausse de 18 points par rapport à 2018

De telles inquiétudes sont parfois justifiées: un rapport mené au printemps dernier par Fico, éditeur de solutions d’analytiques et de machine learning, montre que 70% des responsables data des grandes entreprises interrogés ne parviennent pas à expliquer comment les décisions ou les prédictions sont effectuées par leurs modèles d’intelligence artificielle. Seuls 22% indiquent que leur entreprise dispose d’un comité d’éthique de l’IA, les autres signalant que leur entreprise décide elle-même de ce qui est éthique et de ce qui ne l’est pas.

En revanche, 77% des responsables consultés reconnaissent même que la technologie peut être utilisée à des fins négatives. Quant aux Français, les nouvelles technologies ne manquent pas de les attirer, puisque seuls 25% déclarent préférer les éviter – un chiffre à mettre en regard des 95% de citoyens qui possèdent un téléphone mobile d’après l’Arcep: en 2019, 77% possédaient un smartphone. Pourtant, les technologies ne sont pas forcément vues sous un jour favorable: si 61% des citoyens de l’Hexagone associent progrès technologique et progrès pour l’humanité, seuls 45% estiment que les nouvelles technologies ont un impact positif sur la santé, 25% pensent qu’elles affectent favorablement l’alimentation alors que 79% estiment qu’elles ont un impact négatif sur l’environnement. Il est vrai que, dans l’ensemble, 58% des Français s’estiment mal informés sur ces sujets.

Qu’en pensent les entreprises ?

Si les PME et les grandes entreprises sont relativement avancées sur le sujet, tel n’est pas le cas des 3,7millions de petites entreprises françaises. D’après le baromètre Croissance et digital de l’Acsel, seules 43 % des TPE considèrent la transformation numérique comme une opportunité, contre 63 % pour les entreprises de plus de vingt salariés. Le ministère de l’Économie estime de son côté que les TPE françaises sont en retrait par rapport aux autres pays européens dans l’adoption des outils numériques de base. Selon l’Acsel, 14 % des TPE choisissent même d’ignorer la transformation numérique ou la considèrent comme une menace, ce qui n’est le cas que de 4 % des entreprises de plus grande taille.

Parmi les freins à la digitalisation : la sécurité, les manques de compétences en interne et les coûts

Parmi les freins à la digitalisation figure la sécurité pour 55 % des entreprises mais également le manque de compétences en interne pour 49 % des entreprises interrogées, et les coûts pour 42 %. Une étude réalisée par l’Ifop en janvier 2021 pour Mastercard/Oxygen montre que 55 % des TPE affectent moins de 5000 euros à leur budget annuel de transformation numérique et 28 % moins de 1000 euros, 67% des dirigeants de TPE estimant que cette démarche est davantage un passage obligé qu’une opportunité. Au final, les chiffres d’IDC et du Syntec numérique sont frappants: 33% des TPE ont engagé une transformation digitale, contre 53 % des PME et 70% des ETI.

Certes, la pandémie de Covid-19 a permis d’accélérer la transformation numérique des entreprises, mais dans la majorité des cas, les actions se sont limitées à mettre en place des systèmes de télétravail et de vidéo-conférence avec des outils tels que Zoom, MS Teams ou Vectera; ainsi que des outils de messagerie collaborative instantanée comme Slack, WhatsApp Business ou l’excellent Rock.so. Une récente étude de The Economist Intelligence Unit parrainée par Appian, une plateforme d’applications et d’automatisation low-code, montre ainsi que, pour 72% des responsables informatiques et des chefs d’entreprise interrogés, la prise en charge du travail à distance constitue l’enjeu le plus important. Ainsi, 69% estiment que la priorité va à l’intégration des informations et des flux de travail dans l’ensemble de l’entreprise, ex-aequo avec le changement rapide des systèmes et des processus.

À travers ces différents chiffres, un constat s’impose: la transformation numérique semble souffrir à la fois d’un déficit d’image et d’un manque de définition. Avant tout, il importe de différencier la simple numérisation et la transformation numérique. La première vise simplement à passer des méthodes et informations existantes sur support numérique, par exemple en numérisant des documents pour les stocker dans un système d’archivage. La seconde s’appuie sur la première mais va beaucoup plus loin puisqu’elle aboutit à refondre entièrement les processus, voire à en créer de nouveaux, et qu’elle sert à bâtir de nouvelles approches radicalement différentes en s’appuyant sur la technologie. À travers la transformation numérique, ce n’est pas seulement la performance de l’entreprise qui est affectée – selon le cabinet McKinsey, les entreprises qui ont sauté le pas sont plus efficaces que les autres – mais c’est aussi l’approche tout entière et souvent le business model lui-même qui peuvent être transformés

Peut-on s’en dispenser ?

Rien n’est moins sûr. On l’a vu, la pandémie a eu un effet accélérateur: les consommateurs se sont tournés massivement vers les sites internet et les offres en ligne des entreprises, qui ont adapté rapidement leur réponse. D’après le cabinet McKinsey, l’augmentation de la part d’interactions numériques avec les consommateurs a représenté l’équivalent d’un gain de trois ans obtenu en quelques mois entre décembre 2019 et juillet 2020. Le développement d’offres digitales a connu une croissance qui correspond à sept ans au rythme normal et certaines organisations estiment avoir progressé entre 20 et 25 fois plus rapidement que ce qu’elles avaient imaginé pouvoir faire. Conséquence, les entreprises qui ont su adopter les nouvelles technologies ont creusé l’écart. Parmi les 25 entreprises qui ont vu leur capitalisation augmenter bien plus largement que l’index boursier depuis février 2020, 22 sont situées dans le domaine des nouvelles technologies.

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Les sociétés natives du monde digital sont encore plus compétitives que les autres concurrents naturels: on pense naturellement à AirBnB, Uber, LeBonCoin ou Lime… Des entreprises qui tirent parti de tous les avantages qu’offre la technologie, avec des outils de gestion de parc, de connaissance client, des systèmes de facturation et de support extrêmement performants et en constante évolution. Car il ne s’agit pas uniquement d’aller plus vite. "Les entreprises qui performent mieux sont celles qui investissent dans la technologie, les données, les processus et les personnes de façon à parvenir à plus de rapidité grâce à de meilleures décisions et à des corrections de trajectoire plus rapides sur la base de ce qu’elles apprennent", estime Kate Smaje, senior partner chez McKinsey.

Résultat, les entreprises qui prennent les devants effectuent des réallocations de personnel et de capital quatre fois plus rapidement que leurs concurrentes. Elles sont aussi plus enclines à réinventer leur modèle d’affaires et à innover, souvent en s’appuyant sur la technologie. Elles sont aussi plus audacieuses dans leurs décisions, notamment en matière d’acquisitions. Enfin, elles conservent toujours une approche orientée client.

Nécessité d’une vision proactive

Sur le papier, les bénéfices sont alléchants, mais dans la pratique il n’est pas si facile de mettre en place une transformation aussi profonde, qu’elle soit numérique ou pas. Les décideurs ont donc besoin d’une vision pour l’après Covid-19, et il leur faut élaborer différents scénarios pour tenir compte de l’incertitude permanente. La transformation numérique ne doit pas être commandée par la technologie, au contraire, c’est cette dernière qui doit être mise au service de la stratégie et des objectifs de l’entreprise de façon à atteindre des objectifs qui devront être mesurables. C’est dans ce contexte que vient s’ajouter la question de la responsabilité sociétale des entreprises, ou RSE, qui représente la dimension de l’entreprise en termes de développement durable. Mise en avant par de nombreuses organisations parmi lesquelles le FMI, l’ONU et l’Europe, la démarche RSE représente un enjeu important puisqu’elle permet d’ajouter aux efforts des entreprises ceux des gouvernements en faveur de la planète et d’une meilleure intégration des ressources humaines. En effet, définis par la norme ISO 26000, les indicateurs de RSE, tiré de l’acronyme anglo-saxon ESG, pour Environnement, Social et Governance, permettent de mesurer comment l’entreprise fonctionne sur chacun de ces trois aspects, ce qui doit la pousser à s’améliorer et changer. Il existe ainsi une convergence entre transformation digitale et RSE, car les deux aboutissent à des changements importants dans l’entreprise, qu’il s’agisse de choix technologiques favorisant l’environnement d’une part et la transformation des processus d’autre part, ou encore de choix sociétaux qui affectent la marque donc la manière dont les affaires sont conduites.

Il existe des convergences entre transformation digitale et RSE

De plus, la RSE et la transformation digitale ne peuvent pas exister de façon isolée l’une par rapport à l’autre, car tout projet de transformation requiert un alignement avec des objectifs stratégiques précis, ainsi que des méthodes d’évaluation continue qui permettent de valider l’alignement des actions avec la stratégie, avec les évolutions technologiques et avec les besoins du marché. En outre, les deux approches supposent des méthodes de reporting évoluées qui permettent de récupérer et d’analyser les données de performance de l’entreprise. Longtemps pris pour un ensemble d’idées optimistes, voire farfelues, la RSE devient aujourd’hui un élément central de la stratégie de l’entreprise.

Les accusations en greenwashing tendent à se dissiper

Le greenwashing supposé donner une coloration écologique mais peu sincère à l’entreprise tend à se dissiper. Pour preuve, sur les marchés, les investisseurs s’intéressent désormais de près aux critères RSE et effectuent des allocations de portefeuille en fonction de la performance environnementale et sociale. Ces choix d’investissement se révéleront de plus en plus rémunérateurs, au fur et à mesure que les consommateurs et les employés exigent plus de la part des entreprises avec lesquelles ils sont en relation. Pourtant, certains restent circonspects: selon Robert Armstrong du Financial Times, il est difficile de voir "comment les marchés financiers peuvent jouer un rôle efficace dans la résolution de ces problèmes, sans que les citoyens et les gouvernements n’agissent en premier". Les nouvelles générations représentent sans doute ces citoyens agissants, auxquels il est prudent de se préparer.

Critères d’évaluation de la RSE

Pour mesurer la qualité RSE, on fait appel à des indicateurs tels que ceux mis en place par TCFD, la Task Force on Climate-related Financial Disclosures qui émane du Financial Stability Board, un organisme international regroupant les banques centrales de plusieurs pays, le FMI et d’autres institutions financières. L’initiative TCFD a pour but de mettre en place une série de recommandations destinées à aider les entreprises à identifier et à publier les risques liés au climat qui pourraient les atteindre au point de vue financier. On est donc loin du greenwashing, car il s’agit ici de comprendre les enjeux environnementaux qui peuvent affecter structurellement l’entreprise.

Cependant, les approches basées sur des critères environnementaux ne sont pas toujours satisfaisantes. Ainsi, les sociétés qui exploitent des ressources minières ou celles qui fabriquent du tabac peuvent se racheter une virginité en opérant des acquisitions ou en compensant leurs émissions, mais l’objet même de leur activité n’est pas aligné avec les principes de la RSE. Là encore, la pression croissante des consommateurs pourrait faire changer les entreprises les plus rétives.

De son côté, la transformation digitale ne se limite pas aux aspects de performance d’entreprise. Elle permet de diminuer la pollution, d’améliorer l’usage des ressources et le recours aux énergies vertes. Il faut s’attendre à de nouvelles règles, de nouvelles lois au cours des années à venir, qui vont contraindre les entreprises à s’aligner avec la RSE. Les consommateurs sont d’accord: d’après un rapport Salesforce, 86 % d’entre eux estiment que le rôle social de l’entreprise est en train de changer. Innovation, collaboration, énergies renouvelables, mobilité, communications, voyages d’affaires, impression, amélioration de la supply chain sont autant de compartiments qui peuvent tirer parti de la transformation numérique. Pour chacune de ces activités, il existe des solutions technologiques adaptées. Ainsi, la façon dont l’entreprise gère le papier a changé. Un grand nombre de documents sont devenus purement virtuels grâce à des solutions matérielles comme les tablettes de type iPad, ou logicielles comme Sherpany, un logiciel de gestion de réunions qui permet de rationaliser la prise de décision et facilite la prise de notes. Les technologies d’impression sont également sur le devant de la scène, les MFP laser étant montrées du doigt pour leur côté énergivore. Côté voyages d’affaires, on se contentera pour l’essentiel de réunions en vidéoconférence, même si rien ne remplace le face-à-face, une fois de temps en temps. Il conviendra en outre de s’intéresser aux services informatiques euxmêmes, notamment au regard de la consommation électrique. Les data center « verts» qui promeuvent un refroidissement naturel seront à mettre en avant, de telle sorte que la Green IT devienne un enjeu incontournable. S’engager dans une approche RSE c’est mettre en place une nouvelle éthique au sein de l’entreprise. Le greenwashing est un phénomène trop fréquent, mais l’entreprise doit changer en profondeur pour intégrer de nouvelles manières de procéder qui vont lui permettre de s’adapter et de se montrer agile sur les décennies à venir. Lutte contre la fraude, transparence, bonne gouvernance sont autant de sujets à aborder dès aujourd’hui pour mettre en place une stratégie et parvenir à un plan concret d’actions.

Peter Gassman, directeur de la stratégie Europe et directeur monde de la RSE chez PwC, le dit bien: "Comme la transformation numérique, la RSE se développera grâce à des phases pilotes réussies et des progrès rapides intégrés dans un ensemble plus vaste". Mais les parallèles avec le numérique vont plus loin. Le monde du business est jonché d’entreprises disparues qui ont tenté de mettre en œuvre leur transformation numérique sans réfléchir aux implications, ce qui a entraîné une perte de valeur, des clients mécontents et des dirigeants congédiés. Nous prédisons le même résultat pour celles qui n’adoptent pas une approche proactive.

Gilles Lancrey

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