Alors que les indicateurs de bien-être au travail ne cessent de se dégrader, nombreux sont les salariés qui rêvent d’entrepreneuriat, sans toujours connaître les réalités de ce statut. Quels sont les leviers dont dispose l’entreprise pour maintenir l’attractivité du salariat ? Tour d’horizon avec Sandrine Gardel, avocate associée au sein du cabinet Opleo Avocats.

 

Décideurs. Comment percevez-vous l’état du dialogue social en France ? 

Sandrine Gardel. Le climat social s’est profondément dégradé depuis la crise du Covid, et le sens du collectif tend à s’effriter. Cela s’explique notamment par la sensibilité des salariés, accrue depuis les bouleversements induits par les confinements successifs. Les nouveaux besoins d’indépendance créés par un recours parfois jugé trop excessif au télétravail ou au flex office entraînent souvent une perte de repère des salariés et un attachement faible à la marque employeur.

"Il serait intéressant de réfléchir à un nouveau statut, qui offre l’indépendance recherchée par certains travailleurs tout en assurant une forme de protection sociale"

S.G. Les collaborateurs étant moins, voire pas présents dans les locaux, les liens entre salariés se distendent, ce qui ne favorise pas leur fidélisation. Les effectifs vivent de plus en plus mal la verticalité hiérarchique : l’autorité exercée par des échelons supérieurs en vient parfois à être considérée comme une forme de harcèlement, et non plus comme l’exercice normal du pouvoir de direction d’un employeur. Or, le harcèlement répond à une définition légale précise, qui doit être sacralisée pour que les personnes réellement victimes puissent être reconnues et défendues dans de bonnes conditions.

Les syndicats ont un rôle éminemment important de garant d’un dialogue serein et de qualité avec la direction. Ils doivent utiliser la notion de harcèlement à bon escient, et en faire un usage raisonnable afin d’éviter qu’elle ne soit galvaudée. Ce qui serait dommageable pour le dialogue social comme pour l’ensemble des salariés.

Face à cette ambiance délétère, les démissions et actions en justice augmentent nettement depuis deux ans. Et nombreux sont ceux qui se mettent à leur compte. Les retours au salariat sont eux aussi très fréquents en cas d’échec d’une expérience entrepreneuriale idéalisée mais souvent très vite décevante.

Sur quels points les entreprises doivent-elles faire des efforts ? Comment les conseillez-vous ?

S.G. Le rôle de l’avocat est d’accompagner l’entreprise dans la mise en place d’accords collectifs qui puissent notamment répondre aux attentes d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle des collaborateurs. Soigner les salariés et leur donner envie de rester ne peut se résumer à des formations sur le harcèlement moral. L’employeur doit aller plus loin et proposer des actions concrètes ayant des répercussions quotidiennes.

Concernant par exemple la durée du travail, nombreux sont les salariés qui ne peuvent prétendre au forfait jour, du fait d’une rémunération inférieure au salaire minimum nécessaire pour en bénéficier, en application de certaines conventions collectives nationales – Syntec ou hôtels, cafés, restaurants etc. –, ou du fait de l’absence d’un tel mode de durée du travail prévu par la convention collective applicable à la société – les conventions collectives nationales ne couvrent pas tous les secteurs d’activité existants et peu les nouveaux secteurs émergeants. Dès lors, les accords d’entreprise représentent un bon levier pour assouplir l’organisation du travail, afin que le plus grand nombre puisse disposer d’une durée du travail adaptée à sa situation de travail et sa vie de famille.

La mise en place d’accords ne se limite pas uniquement au temps de travail. Elle peut couvrir bien d’autres aspects à même d’attirer et retenir les talents et d’améliorer leur santé mentale : aides financières pour les vacances, le sport, les spectacles et la culture, le télétravail et le droit à la déconnexion, etc. Les systèmes de récompenses en fonction des performances – les "token reward" – sont aussi appréciés. Ce sont autant de dispositifs très accessibles et attractifs, qui viennent compléter des avantages plus classiques, quoique parfois méconnus, tels que l’épargne salariale.

Quelle est la réalité de l’entrepreneuriat en France ?

S.G. Le mythe de l’entrepreneuriat a la peau dure. S’il y a des avantages indéniables à ce mode de travail, il faut rappeler que l’entrepreneur ne bénéficie ni des dispositions prévues par le code du travail, ni d’aucune autre forme de protection. Du fait de son statut, il n’est pas non plus éligible aux cotisations pour l’assurance chômage, la retraite, la prévoyance, la mutuelle – sauf exceptions liées à un statut spécial. Il ne  bénéficie pas non plus des avantages collectifs liés aux activités sociales et culturelles des représentants du personnel, ou de la mise en place de mécanismes d’épargne salariale obligatoires ou facultatifs dans certaines entreprises. Une personne indépendante doit par ailleurs consacrer beaucoup de temps, voire d’argent, à ses formalités administratives et comptables qui, faut-il le rappeler, sont complexes. Elle est fréquemment impliquée dans des litiges avec ses clients, en lien avec des factures impayées. Tous ces aléas sont éprouvants et bien éloignés de la stabilité et la sécurité financière allouée par un contrat de travail.

Comment le droit social peut-il intervenir pour réhabiliter la place de l’entreprise ?

S.G. Les entreprises doivent s’efforcer de mieux communiquer aux salariés leurs droits et avantages. En ce sens, il faut instaurer plus de synergies entre les directions de la marque employeur et les avocats en droit social, afin que l’ensemble des équipes ait connaissance des dispositifs en vigueur.

De nombreux éléments ont néanmoins déjà été mis en place, par le législateur comme par les employeurs, destinés à rendre le salariat plus attractif : mécanismes de partage de la valeur, une nouveauté législative de la fin d’année 2023, instaurée aux côtés d’autres mécanismes visant à rendre plus attractive l’épargne salariale dans les petites structures. Est également possible l’acquisition de congés payés pendant les arrêts de travail, dans le cas d’une maladie non professionnelle. Des décrets viennent d’ailleurs d’être publiés au sujet de l’épargne salariale.

La création d’un statut intermédiaire entre le salariat et l’entrepreneuriat est-elle imaginable ?

S.G. Il serait en effet intéressant de réfléchir à un nouveau statut pour un autoentrepreneur qui travaille durablement dans la même entreprise. Légiférer à ce sujet offrirait l’indépendance et la souplesse recherchée par certains, tout en assurant une forme de protection sociale. Nous sommes l’un des seuls pays en Europe à ne pas avoir de statut hybride, pour des raisons de cotisations sociales et patronales. Or, nous pourrions imaginer une formule prévoyant des cotisations sociales et patronales réduites, pour contenter l’ensemble des parties prenantes. Par exemple, la part des cotisations patronales dans le secteur de l’artisanat s’élève à 45 % ; une telle évolution permettrait à des petites structures de faire appel à de la main-d’œuvre plus facilement.

Entretien avec Sandrine Gardel, avocate associée au sein du cabinet Opleo Avocats

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