Les enjeux de prévention des risques psychosociaux prennent une place de plus en plus grande dans la vie de l’entreprise. Deux arrêts récents du Conseil d’État sont l’occasion de rappeler leur importance pour l’employeur qui élabore un plan de sauvegarde de l’emploi par nature anxiogène pour les salariés licenciés, comme pour ceux qui restent dans l’entreprise à l’issue de l’opération.

Le Tribunal des conflits a jugé en 2020 que dans le cadre d’une réorganisation qui donne lieu à l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), il appartient à l’Administration (la Dreets) de vérifier le
respect par l’employeur de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (Tribunal des Conflits, 8 juin 2020, C4189).
Par deux décisions rendues le 21 mars 2023 (n° 450012 et 460660-460924), le Conseil d’État considère que dans le cadre de son contrôle d’un PSE, la Dreets doit vérifier que les instances représentatives du personnel ont été informées et consultées sur les risques psychosociaux (RPS) susceptibles d’être causés par la réorganisation de l’entreprise et que le PSE contient les mesures propres à protéger les salariés contre les RPS lors de la mise en oeuvre de la réorganisation.

L’Administration doit s’assurer de la prise en compte des RPS lors de l’information-consultation du CSE

L’article L. 1233-30 du Code du travail imposait déjà à l’employeur d’informer- consulter le CSE sur les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail, la Dreets devant s’assurer de la régularité de l’information-consultation. Le Conseil d’État impose désormais à l’Administration de vérifier que l’employeur a bien adressé au CSE lors de la procédure
d’information-consultation :
- des éléments relatifs à l’identification et à l’évaluation des conséquences de la réorganisation de l’entreprise sur la santé ou la sécurité des travailleurs ;
- et, en présence de telles conséquences, des éléments relatifs aux actions projetées pour les prévenir et en protéger les travailleurs.
À noter que ces différents éléments doivent avoir été adressés au CSE avec la convocation à sa première réunion pour qu’il puisse formuler ses avis.
En ce qui concerne l’ordre du jour des réunions, l’employeur doit faire preuve de vigilance. À cet égard, l’inscription d’un point relatif à l’information du CSE sur les conséquences du projet envisagé sur les conditions d’hygiène, de sécurité, des conditions de travail et sur la prévention des risques psychosociaux est une pratique à privilégier. L’implication de la CSSCT tout au long de la procédure d’information consultation est également à prendre en compte. À défaut, la Dreets pourrait refuser l’homologation ou la validation du PSE en raison de l’irrégularité de la procédure d’information-consultation du CSE.

L’Administration doit s’assurer de la prise en compte des RPS dans le PSE

Le Conseil d’État juge désormais que l’Administration doit s’assurer de la prise en compte par l’employeur des RPS dans le cadre du contrôle du PSE qui lui est soumis. La Dreets devra ainsi vérifier que l’employeur a arrêté des mesures précises et concrètes dans le PSE pour remédier aux risques identifiés pour la santé et la sécurité des travailleurs.
En pratique, cette obligation s’impose vraisemblablement à tous les PSE. Le déploiement d’un PSE étant par nature anxiogène pour les salariés licenciés comme pour ceux qui restent dans l’entreprise à l’issue de l’opération, la prévention des RPS ressort de l’obligation de sécurité de l’employeur.
Selon le Conseil d’État, les mesures précises et concrètes prises par l’employeur doivent respecter les principes généraux de prévention énoncés par l’article L. 4121-2 du Code du travail, à savoir :

  • des actions de prévention des risques ;
  • des actions d’information et de formation ;
  • la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Ces mesures, prises dans leur ensemble, doivent être propres à prévenir les risques identifiés par l’employeur et à en protéger les salariés.
Dans les deux dossiers qui lui étaient soumis, le Conseil d’État a estimé, comme la Cour administrative d’appel avant lui, que la Dreets n’aurait pas dû homologuer les PSE. Dans la première affaire (nº 450012), si l’autorité administrative s’était bien assurée que le CSE avait été informé et consulté sur les RPS, elle n’avait pas vérifié que le document unilatéral comportait des mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs. Dans la deuxième affaire (n° 400660- 460924), alors que la cessation d’activité de la société se traduisait par la suppression de la totalité de ses emplois, les risques que couraient les salariés n’avaient pas été suffisamment envisagés par l’employeur dans le document unilatéral présenté au CSE puis à la Dreets en vue de son homologation. La Cour administrative d’appel saisie du dossier avait considéré que les quelques éléments identifiés et mis en oeuvre par l’employeur (notamment un "espace écoute") étaient insuffisants à eux seuls pour remédier aux risques identifiés. Le Conseil d’État partage son avis et considère que la Dreets n’aurait pas dû homologuer le PSE qui lui était présenté. L’évaluation des risques psychosociaux dans l’entreprise s’impose donc désormais comme une étape incontournable à tout employeur qui élabore un projet de réorganisation : des mesures précises et concrètes pour remédier aux risques identifiés pour la santé et la sécurité des travailleurs doivent figurer dans le PSE. À défaut, son homologation pourrait être refusée par la Dreets.

Un recensement des différentes mesures envisagées par les entreprises dans le cadre de projets de réorganisation permet de mettre en lumière la nature des actions de prévention des RPS retenues par l’Administration pour homologuer un PSE. Il s’agit principalement :

  • du déploiement d’une campagne de communication sur les RPS ;
  • de la mise en place d’un accompagnement par un prestataire extérieur spécialisé dans l’accompagnement psychologique des salariés en période de réorganisation ;
  • de la mise en place d’une ligne d’écoute psychologique avec un accès direct, illimité et confidentiel par téléphone, 24 h/24, via un numéro vert ;
  • de l’organisation de formation aux risques psychosociaux des managers ;
  • des mesures prévisionnelles d’adaptation en cas de variation de la charge de travail des salariés restant dans l’entreprise postérieurement à la mise en oeuvre de la réorganisation.

La question du bien-être au travail et de la prévention des risques, prépondérante dans la vie quotidienne de l’entreprise, prend donc une importance primordiale dans la mise en oeuvre de projets de réorganisation, ce qui passe nécessairement par l’élaboration de mesures concrètes et effectives destinées à limiter les risques.

Sur les auteurs : Mathias Joste et Loïc Touranchet sont avocats au sein d’Actance. Leader en droit social, le cabinet conseille des groupes et entreprises appartenant à l’ensemble des secteurs d’activité. Actance accompagne au quotidien ses clients pour qu’ils anticipent les évolutions sociétales et s’adaptent aux nouveautés législatives qui en découlent.

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