Alors que les données concernant le retour de congé maternité des cadres étaient jusque-là inexistantes, l’Apec a publié le 8 février les résultats d’une enquête menée auprès de 12 400 cadres en poste dans le secteur privé en janvier-février 2023.

Sans surprise pour quiconque l’a vécu, l’enquête confirme que le retour de congé maternité, période charnière tant sur le plan professionnel que personnel, est synonyme de grand stress et de difficultés.

L’Apec met en lumière l’une des failles majeures de notre modèle économique et social : l’inaptitude d’un grand nombre d’entreprises à prendre la pleine mesure de l’importance du retour de congé maternité dans la carrière des femmes. Un manquement lourd de conséquences : le retour de congé maternité est considéré comme difficile par 47% des mères cadres l’ayant vécu dans les dix dernières années.

À poste équivalent, le salaire des mères est inférieur de 21% à celui des pères

Des conséquences à long terme pour la carrière des femmes

Ce sont 28% des mères cadres interrogées lors de l’enquête menée par l’Apec qui ont fait face à des discriminations et remarques sexistes de la part de leur entourage professionnel, en lien avec la maternité.

Claudia Goldin, lauréate du prix Nobel d’économie 2023, a souligné que c’est à ce moment clé du congé maternité que les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes prennent naissance. Les cadres n’échappent pas à cette tendance : 74% des mères interrogées par l’Apec considèrent que le congé maternité ralentit la progression hiérarchique des femmes pendant plusieurs années. Les inégalités salariales entre hommes et femmes à poste équivalent s’accroissent fortement avec le nombre d’enfants : le salaire des femmes est inférieur de 21% à celui des hommes pour les parents de deux enfants, et de 31% pour les parents de trois enfants ou plus, contre 12% pour ceux ayant un seul enfant et 7% pour les personnes sans enfant (Insee, 2020).

Si le retour de congé maternité demeure un impensé sociétal et politique, c’est bien parce qu’il s’applique, dans sa longueur et son caractère obligatoire, exclusivement aux femmes, et qu’aujourd’hui encore, les stéréotypes de genre écrasent les mères, qui doivent naviguer entre carrière et charge parentale, tout en étant assommées d’injonctions paradoxales.

Les études sociologiques montrent depuis longtemps les conséquences du sexisme lors de l’entrée en parentalité d’une femme et d’un homme, suscitant une "pénalité maternelle" d’un côté, et un "bonus paternel" de l’autre. Ainsi, une femme qui devient mère a tendance à être perçue comme peu fiable et moins attachée à sa progression de carrière (Budig & England, 2001 ; Périvier, 2017 , cités dans le rapport "Le congé de paternité et d'accueil de l'enfant : représentations et attentes" publié en 2022 par l’Edhec). Le nouveau père, à l’inverse, est considéré comme une personne sérieuse, à qui l’on peut confier davantage de responsabilités au travail (Hodges & Budig, 2010 ; Nautet & Piton, 2021 ; Périvier, 2017, cités dans le même rapport de l’Edhec).

L’alignement des congés comme solution unanime

L’une des solutions pour mettre fin à la pénalité maternelle et ses retentissements en cascade ? De l’avis quasi unanime des associations, c’est l’alignement de la durée du congé paternité sur celle du congé maternité, pour que le risque parentalité cesse de peser uniquement sur les mères.

"Il faut des décisions politiques et législatives pour favoriser une réelle implication des pères", Thi Nhu An Pham, autrice de La Reprise

Avec ses 28 jours de congé paternité, dont une semaine seulement obligatoire, la France est loin derrière l’Islande (25 semaines) et l’Espagne (16 semaines).

L’allongement de la durée du congé paternité est pourtant essentielle pour lutter contre les inégalités de genre. Une position défendue par Thi Nhu An Pham, autrice de La Reprise – Le tabou de la condition des femmes après le congé maternité (Payot, 2023) : "Il faut des décisions politiques et législatives pour favoriser une réelle implication des pères, peu importe leur carrière et leur statut social, auprès des enfants et du foyer. Les pères ont besoin de temps pour prendre pleinement ce rôle."

Certaines entreprises l’ont déjà compris et ont fait preuve d’exemplarité en la matière. Laurent de la Clergerie, président du groupe LDLC, a ainsi instauré en 2023 un congé naissance de vingt semaines pour les hommes comme pour les femmes. Ipsos France propose à tous les seconds parents salariés, hommes et femmes, en CDI depuis plus d'un an au sein de l'entreprise, de disposer d'un congé parental rémunéré de dix semaines.

Les collectivités territoriales commencent également à prendre la mesure de cet enjeu : en décembre 2023, Lyon est devenue la première ville de France à proposer un congé paternité de dix semaines à ses salariés.

71 % des femmes cadres ayant pris récemment un congé maternité considèrent que les entreprises ne mènent pas les actions nécessaires pour favoriser le retour au travail

Le retour de congé maternité, l’impensé de l’entreprise

En attendant que toutes les entreprises suivent l’exemple de LDLC, les femmes en paient le prix fort selon l’étude de l’Apec : 71 % des femmes cadres ayant pris récemment un congé maternité considèrent que les entreprises ne mènent pas les actions nécessaires pour favoriser le retour au travail.

Un chiffre qui s’explique aisément puisque plus de la moitié des salariés déclarent mal connaître leurs droits liés à la parentalité (étude menée auprès de 37 000 salariés par le CSEP et l’Institut BVA en 2018, publiée en 2019). Parmi ces obligations légales : l’entretien de retour de congé maternité, la visite médicale, la garantie de rattrapage salarial, le droit à bénéficier d’une heure par jour d’allaitement sur son temps de travail, et tant d’autres dispositifs qui, s’ils étaient maîtrisés et appliqués, réduiraient drastiquement le niveau de stress des mères.

Conséquence de cette méconnaissance : oublis, négligences délibérées ou non de la part de l’employeur, comme en témoigne une analyste sécurité et manager dans le secteur de l’assurance, mère de deux enfants, interrogée par l’Apec : "Ils avaient changé de tablettes, mais il n’y en avait pas pour moi, il fallait la commander et j’ai été cinq jours sur site, toute seule, ils étaient tous en télétravail, j’étais sans outil informatique, ils n’avaient pas anticipé."

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Mauvais accueil, absence de soutien et de maintien de salaire : la multiple peine des nouvelles mères

Des manquements qui viennent renforcer le malaise que les mères peuvent ressentir : "Quand les femmes reprennent le travail après une naissance, elles se rendent compte qu’elles n’ont pas leur place en tant que mère dans la société. Mal considérées, elles deviennent persona non grata. C’est extrêmement violent", explique l’autrice de La Reprise. Par ailleurs, nombreuses sont les entreprises qui ne pratiquent pas le maintien de salaire à 100%, ce qui précarise les femmes et force les coparents à retourner travailler plus tôt qu’ils ne le souhaiteraient.

Comment dès lors reprendre son poste dans des conditions adéquates ? Mal accueillies et invisibilisées par leur entreprise, les mères cadres font face à des niveaux de stress qui peuvent les mettre en difficulté et faire de leur reprise de poste un parcours du combattant. Les mères cadres interrogées par l’Apec citent parmi les principales difficultés rencontrées : la charge de travail malgré la fatigue (71%), être aussi efficaces (60%) et engagées (56%) qu’avant, retrouver sa place à son ancien poste (44%).

Au-delà de l’indispensable mobilisation des entreprises pour assurer la place des femmes dans le monde du travail, le politique doit se saisir pleinement de ces sujets. Et repenser notamment l’offre de garde d’enfants, comme le souligne Thi Nhu An Pham : « Il est impératif de mener une vraie réflexion sur le secteur de la petite enfance et des modes de garde proposés. Il faut revaloriser ces métiers et améliorer les conditions dans lesquelles ils sont exercés. Sans cela, rien ne changera. » 

100 euros investis par l’entreprise en faveur de la parentalité lui rapportent 108 euros

L’accompagnement à la parentalité : un enjeu stratégique pour les entreprises

Élaborer une politique de soutien à la parentalité est, sans nul doute, bénéfique pour le bien-être des équipes, que les individus qui la composent soient parents ou non : "Les politiques de soutien à la parentalité bénéficient à toutes et tous, grâce à l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle que cela apporte", affirme Thi Nhu An Pham.

Point important, cette politique exige également de prendre en compte les situations propres aux minorités, comme le rappelle Thi Nhu An Pham : "Les conditions de retour au travail peuvent être encore plus difficiles pour des mères marginalisées, des mères solos ou des mères racisées. L’entreprise se doit d’être vigilante, et de veiller à les soutenir et les accompagner."

L’accompagnement à la parentalité est donc un enjeu devenu essentiel pour l’équilibre et l’égalité au sein des équipes. Il l’est aussi pour l’entreprise, qu’il s’agisse de marque employeur, d’attractivité et rétention de talents ou de productivité : en 2005 en Suisse, un groupement d’entreprises (Nestlé, Migros, Novartis et Raiffeissen notamment) a mesuré le retour sur investissement (ROI) de mesures en faveur de la parentalité : 100 euros investis par l’entreprise en faveur de la parentalité lui rapportent 108 euros, soit 8% de ROI. Un chiffre qui s’explique principalement par la diminution de l’absentéisme et par la baisse des coûts de recrutement due à une meilleure fidélité des salariés tout au long de leur carrière.

À lire :  Aide à la parentalité : les salariés attendent davantage des entreprises

Des initiatives prometteuses

Les acteurs de la parentalité (services et conseils aux entreprises) se sont multipliés ces dernières années et contribuent à faire bouger les lignes. Tout employeur, DRH ou manager souhaitant s’informer et comprendre ce dont les parents salariés ont besoin, trouvera un rappel complet des dispositions légales et une mine d’informations au sein du guide du Parental Challenge qui sensibilise et mobilise, au travers d’une charte, des employeurs souhaitant s’engager en faveur de la parentalité.

Des cabinets d’audit ont déjà pris des mesures pour fidéliser et attirer de nouveaux talents. Les salariés de KPMG peuvent ainsi bénéficier, à la suite d’une naissance ou d’une adoption, d’un temps partiel à 80% payé 100%, pendant une durée maximale de six mois. Chez Mazars, dès l’annonce de sa grossesse, la salariée bénéficie d’un entretien individuel avec l’équipe RH pour discuter des dispositifs présents afin de l'accompagner au mieux. À la reprise, elle peut également travailler quatre jours par semaine, pendant trois semaines, rémunérés à 100%.

Chez ManoMano, la durée du congé maternité a été allongée d’un mois par rapport à la durée légale, et est rémunérée à 100%, sans condition d'ancienneté. À leur retour, les mères voient leur salaire automatiquement augmenter à hauteur de l'évolution salariale moyenne constatée dans l'entreprise.

Autant de sources d’inspiration pour les entreprises qui souhaitent faire en sorte que leurs salariés parents se sentent épanouis et soutenus sur leur lieu de travail. 

Caroline de Senneville

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