Tony Bernard dirige Impact Tank, un think-tank européen consacré à "l’économie à impact positif" créé par le groupe SOS et quatre universités (Sciences-Po, Sorbonne Université, Conservatoire national des arts et métiers, Paris-Dauphine). En septembre, il lance un groupe de travail sur l’égalité des chances dont le rapport sera rendu public lors du prochain Sommet de la mesure d’impact.

 

Décideurs RH. Quel constat vous a conduit à lancer ce groupe de travail ?

Tony Bernard : Le sujet n’est pas nouveau. La France n’a toujours pas réussi à relever le défi de la mobilité sociale. Les enquêtes Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) montrent combien notre pays rencontre des difficultés à réduire les inégalités scolaires. L’origine sociale des élèves détermine encore largement leurs ambitions, leur réussite et leur destin.

Nos travaux ambitionnent de croiser les résultats des évaluations des politiques publiques depuis quinze ans, et des démarches de mesure d’impact de l’action des associations et des entreprises.  Celles-ci s’engagent à travers leurs politiques de mécénat et leurs politiques RH, pour penser des indicateurs d’impact qui parlent à tout le monde. Le lancement de ces travaux de recherche a également permis de créer un collectif consacré à l’égalité des chances autour de l’Impact Tank avec l’Ascenceur, et plus d’une vingtaine d’entreprises, d’associations et d’acteurs publics.

Vous affirmez donc que l’école française est inégalitaire ?

Je pense que la mission de l’école se compromet tout en se réalisant. La massification de l’enseignement depuis plus de trente ans, a révélé une école qui amplifie les inégalités sociales qui se cumulent dans des établissements "ghettos", une école qui ne parvient pas à renverser la reproduction sociale et qui trie et exclut les enfants, de plus en plus nombreux, ayant des profils atypiques. Dans ce contexte, le travail que nous souhaitons mener sera construit sur trois piliers : l’accès de toutes et tous aux meilleures pédagogies et conditions d’apprentissage, l’accès à l’information et la lutte contre le sentiment d’autocensure, la valorisation des filières professionnelles et la sensibilisation sur les métiers du futur à l’échelle des territoires.

 Plus de diversité dès l’école ?

Oui, c’est un enjeu majeur pour la cohésion sociale. Ce que montrent les évaluations des dispositifs sur la mixité sociale à l’école, ce n’est pas tant un impact sur les performances scolaires, mais une amélioration des liens de solidarité et de coopération entre élèves. La mixité sociale est donc avant tout un défi pour la cohésion de la société, car l’école constitue le premier lieu de socialisation et de l’émergence du sentiment de citoyenneté. Des indicateurs peuvent être établis afin de mesurer l’impact de cette mixité sur les pratiques citoyennes que les individus développent par la suite.

L’égalité des chances dépend également de l’accès à l’information. Certes, les voies d’excellence ont fortement été démocratisées par des campagnes nationales d’information, toutefois, cela ne suffit pas. Car un sentiment d’autocensure empêche certains de se projeter dans les filières d’excellence. Beaucoup d’associations se mobilisent déjà sur le sujet, pourtant, le sentiment d’un déterminisme social reste plus fort en France que dans d’autres pays. La question n’est donc plus celle du savoir mais du croire. C’est en faisant évoluer les croyances, que les enfants et leurs familles pourront se projeter dans des métiers et des filières éloignées de leur quotidien. Notre recherche visera par exemple à construire des indicateurs pour mesurer l’impact des programmes sur l’évolution des croyances des jeunes et de leurs familles, sur les parcours et les choix d’orientation.

Les entreprises n’ont-elles pas également leur rôle à jouer dans l’égalité des chances ?

Je suis d’accord. L’impact envisage l’entreprise à travers son rôle social et environnemental, sa responsabilité économique et financière, mais aussi politique vis-à-vis de l’intérêt général. Cela rejoint la théorie de l’entreprise systémique de Cécile Renouard. En matière d’égalité des chances, l’entreprise a un rôle politique à jouer. Certains dispositifs publics font intervenir les entreprises, comme les cités éducatives. Elles reposent sur une meilleure coordination de l’ensemble des acteurs (éducation nationale, collectivités, habitants et familles, monde associatif…) en impliquant les entreprises du territoire. Les premières évaluations du comité national de suivi des cités éducatives montrent des résultats satisfaisants. Ces actions méritent d’être renforcées lorsqu’elles ont de l’impact.

Les entreprises doivent aussi davantage s’impliquer au collège et au lycée notamment. Cela recoupe notre troisième axe de recherche : la valorisation des filières professionnelles. Les métiers techniques doivent être revalorisés à l’école, dans les discours et les cycles d’orientation en associant les entreprises. Car l’école n’est pas en dehors de la société, elle doit être l’école de toute la société.

Concernant les politiques de recrutement, ne doivent-elles pas aussi se diversifier ?

C’est fondamental. Après l’école, la citoyenneté se construit aussi dans les entreprises. L’enjeu de la diversité des profils rencontre alors le rôle politique des entreprises dont j’évoquais toute l’importance. En valorisant les parcours atypiques, elles ont la capacité d’inciter le changement de regard de toute la société, des acteurs de l’éducation et de la formation professionnelle, et des jeunes eux-mêmes.

Par ailleurs, à côté de la performance sociale, de nombreuses études montrent la corrélation positive entre la diversité et les performances économiques des entreprises. Nous les connaissons depuis longtemps. Je pense par exemple à la célèbre étude de McKinsey & Company en 2018. Mais les politiques de recrutement peinent encore à se renouveler, même si des expérimentations intéressantes émergent depuis la pandémie de Covid-19 pour attirer de nouveaux talents, notamment à travers les recrutements sans CV.

Propos recueillis par Elsa Guérin

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