C’est dans une salle de l’ancienne université parisienne de Censier, devenue tiers-lieu, que se fait la rencontre avec Lobna Calleja Ben Hassine, qui profite d’un séjour à Paris pour y enregistrer un podcast. Rayonnante, elle ouvre cette porte qu’elle ne connaissait pas il y a une heure et en fait, immédiatement, un espace familier. Portrait d’une DRH passionnée par les mutations que vit sa fonction.

Lobna Calleja Ben Hassine n’est désormais plus parisienne. Elle a choisi de vivre, depuis l’été 2023, à Annecy avec sa famille : un mari et deux enfants de 10 et 4 ans. Pourquoi un tel changement, quand on est DRH d’une société ultraparisienne comme Ogilvy ? Pour la slow life, grâce à laquelle elle peut faire mille choses, en s’extrayant du flux d’énergie et du speed parisien. Les avantages professionnels de travailler à distance : partager des moments de qualité avec les équipes lorsqu’elle se rend au bureau, et pouvoir travailler plus en profondeur le reste du temps, sans interruption.

L’ailleurs comme horizon

Elle est la deuxième d’une fratrie de trois enfants, grandit à Toulon, et bénéficie de l’apport culturel de ses parents tunisiens. Après le décès de son père, très tôt dans sa vie, elle voit sa mère gérer seule le foyer, avec un salaire de femme de ménage qu’elle évoque sans s’étaler, par pudeur. Elle admire cette femme qui ne se plaint jamais, et se projette très vite dans une vie différente, ailleurs. Dès l’enfance, elle n’a qu’un rêve : partir. Déjà, elle perçoit dans le travail la possibilité de réaliser ce souhait tout en embarquant d’autres personnes avec elle. Je regardais le chemin de fer depuis ma fenêtre, et je voulais monter dans un wagon, voyager, ou être hôtesse de l’air.

Du rêve au terrain réel

Après son bac, Lobna Calleja Ben Hassine part faire ses études à Aix-en-Provence puis à Montpellier, où elle fait un master en ressources humaines. Un domaine qu’elle découvre par hasard après un stage de fin d’études dans un organisme qui trouvait à des étudiantes des jobs aux États-Unis. Ce premier pied dans le recrutement lui plaît : elle aime donner du sens à la vie des individus, en les aidant à partir pour d’autres horizons – toujours cette tentation du départ. Ces recrutements contribuaient à réaliser le rêve de ces jeunes femmes. En faisant ça, je rencontrais leur personnalité, leurs envies de découverte du monde. C’était très humain.

Une fois dans le bain RH, Lobna Calleja Ben Hassine s’aperçoit que son travail est à des années-lumière” de ce qu’elle anticipait : J’imaginais un rôle beaucoup plus social, dans le sens où je voulais aider les salariés à avoir une vie meilleure, à prendre du plaisir dans leur travail, à évoluer. La réalité qu’elle découvre est tout autre, faite de contraintes et d’injonctions paradoxales liées aux enjeux de pouvoir, au manque de moyens et d’outils” qui rendent sa tâche plus ardue qu’elle ne l’imaginait. Voyant désormais plus clair dans son rôle, elle se plonge dans le travail : Dans ce métier, il faut être très créatif et avoir une résilience particulière sans compter son temps. Les hard skills et la technicité sont valorisés, au même titre que les soft skills. Mais c’est passionnant d’apprendre sur soi, sur l’humain, et de toujours gagner en résilience.

Pour s’offrir le luxe de viser l’impact, il faut réunir un certain nombre de conditions rares : avoir, à titre personnel, des convictions fortes et les défendre, mais surtout être dans une boîte où la culture d’entreprise est saine et les indicateurs au vert : turn­over acceptable, pas ou peu d’absentéisme, de disciplinaire, un bon eNPS – des signaux qui montrent le ROI de la stratégie RH menée avec l’équipe Talent, et les autres parties prenantes.

Elle assimile les enseignements du terrain, et travaille avec les contraintes sans se complaire dans ses désillusions. J’ai compris très tôt que la direction RH n’était pas le bras armé de la direction. Cela m’a vite menée à vouloir accompagner les managers sans jamais me substituer à eux, en les responsabilisant et en les formant avec des méthodes innovantes, incluant du coaching, du codev, du learning by doing, des learning expeditions qui apprennent efficacement comment bien endosser ce rôle. Elle comprend néanmoins que ce n’est pas le management seul qui doit porter la politique RH, mais qu’il faut émerger en tant que voix singulière, porter sa propre parole pour obtenir des effets concrets. Personne ne défend mieux tes projets que toi, affirme-t-elle. 

Naissance d’une leader

Elle apprend à devenir leader. Mais il lui faut lutter contre un syndrome de l’imposteur lié, selon elle, à l’absence de rôles modèles dans son environnement familial. À son enfance aussi : petite, elle devait rester à sa place et ne faire aucune vague pour ne pas perturber l’équilibre que main­tenait, seule, sa mère. Une tendance qui se traduit par l’impression d’être une erreur de casting, malgré des réactions toujours positives à son travail et des postes de plus en plus prestigieux, chez Calvin Klein, Geox et enfin Ogilvy. Pour l’illustrer, et non sans humour, elle raconte une anecdote datant de son arrivée à la direction des ressources humaines de Calvin Klein France. La DRH monde du groupe était venue à Paris, et Lobna Calleja Ben Hassine avait demandé à son supérieur s’il fallait qu’elle soit là – alors même que cette femme avait traversé l’Atlantique dans le but précis de la voir.

“Quand un homme parle, même pour ne rien dire, on ne l’interrompt pas alors qu’on sera plus prompt à couper la parole à une femme” 

En 2008, ce poste de DRH chez Calvin Klein marque un tournant dans sa carrière: Lobna Calleja Ben Hassine demande un coaching qui lui permet de développer son leadership et son assertivité. Elle apprend à suggérer et influencer plutôt qu’à imposer, à dialoguer et recueillir les besoins des équipes et des partenaires sociaux. Bref, elle crée des passerelles qui rendent visible ce qu’elle sait faire de mieux. Pour cette férue de poker, fière d’avoir joué à Las Vegas (où elle confesse avoir perdu), le leadership est une question d’audace et d’esprit ludique, qui ne peut pas porter ses fruits s’il se cantonne au formalisme ou au rigorisme : Au poker, c’est ce que le joueur fait de ses cartes qui compte, et pas les cartes qu’il a en main. Il peut gagner même si son jeu est nul.

Ses convictions en matière de diversité sont fortes, étant triplement concernée, en tant que RH, femme et issue des 'minorités visibles' – mais elle ne s’épanche pas sur le sujet, ne voulant pas y être réduite. Pour autant, chez Ogilvy, elle œuvre à un changement culturel en améliorant la documentation des actions en matière de DEI, pour établir une meilleure feuille de route. Son principal combat reste celui du leadership au féminin. Elle porte attention aux détails susceptibles d’entraver l’égalité femmes-hommes et travaille à leur correction : Partout, quand un homme parle, même pour ne rien dire, on ne l’interrompt pas alors qu’on sera plus prompt à couper la parole à une femme ; on demandera plus spontanément à une femme d’aider à distribuer les plateaux repas et faire les cafés, ce n’est plus acceptable en 2024.

“Il faut réparer la machine, et s’aider de l’IA pour révolutionner la fonction RH, plutôt que de mettre de l’IA dans une machine cassée” 

Dès son arrivée chez Ogilvy, en 2022, elle décide, lors de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, qu’elle prendra seule la parole face à une assemblée composée des collaboratrices de l’entreprise. Je leur ai dit qu’il ne fallait pas qu’elles attendent d’être remarquées, que si elles voulaient être augmentées et avoir un poste, il fallait le dire, et exprimer leurs ambitions de manière claire. Elle décline dans la foulée un programme haut potentiel conçu par le groupe et uniquement destiné aux femmes, observant avec joie que celles qui en sont sorties disent avoir changé, voient plus grand, ont davantage confiance en elles.

“Je pense que l’IA va nous sauver, elle est le poison et la cure !” 

Looking forward

Les défis issus des révolutions RH lui plaisent. Le Covid ? Merci à lui ! Un énorme coup de pied dans la fourmilière qui a remis le travail à sa juste place dans l’imaginaire collectif et a poussé les organisations à repenser leurs leviers d’attractivité et de rétention des talents.

Désormais, c’est l’arrivée de l’IA qui la passionne : Je pense que l’IA va nous sauver, elle est le poison et la cure !, dit-elle sans ambages.Nos organisations sont face à trois défis majeurs : attraction, rétention et engagement. Les collaborateurs nous attendent sur quatre grands sujets : rémunération, équilibre professionnel et personnel, perspectives de carrière et apprentissages. Aujourd’hui, la façon dont ils sont abordés ne permet pas d’y répondre efficacement. Nous sommes à la fin d’un cycle. Il faut réparer la machine, et s’aider de l’IA pour révolutionner la fonction RH, plutôt que de mettre de l’IA dans une machine cassée. Quitte à ce que ce l’IA soit là, tirons-en le meilleur, et créons les meilleurs binômes humain-machine.

Une dernière question pour conclure l’entretien : que ferait Lobna Calleja si elle n’était pas DRH ? Sa réponse ne nous est toujours pas parvenue.

 Judith Aquien 

 

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