À 39 ans, Pierre Monclos est une figure connue de toute la communauté RH, en particulier dans l’univers de la French Tech. Il y apporte une vision novatrice, loin des sentiers battus, qu’il insuffle de ses convictions sur la tech, la transparence et les équilibres de vie.
Pierre Monclos grandit à Montpellier, avec sa petite sœur, son père fonctionnaire des impôts et sa mère professionnelle du monde de la petite enfance. Un foyer qui donne une large place aux conversations engagées, et où le temps consacré à la famille est sacralisé. Du temps et de l’engagement : c’est ce qui constitue les fils rouges de sa carrière.

 

Tradition et modernité

 

Pierre Monclos se lance d’abord dans le droit, motivé par le sérieux vers lequel ces études semblent mener. Il y découvre le droit social, et a un coup de cœur pour cette discipline constituée de règles pour que les choses soient justes pour les individus. Mais les ressources humaines, enseignées de manière trop théorique, ne l’attirent pas. Son M2 obtenu, il fait un stage comme juriste chez Orano (devenu Areva depuis). Il en part en pleine crise des subprimes, et se réoriente pour trouver du travail.

 

Il devient alors consultant au sein d’une entreprise de formation très traditionnelle, avec des codes vestimentaires, l’obligation de badger à l’entrée et une cantine. Il est loin, le rêve qu’éveillent en lui les entreprises de la Silicon Valley, avec des tobogans et des congés illimités. Ce décalage s’accentue durant ses formations où, désespéré, il est témoin de la méfiance que suscite le tournant digital. 

 

Désireux d’évoluer dans un univers plus aligné sur ses valeurs et aspirations, Pierre Monclos rejoint Unow dès sa création, en 2014, pour révolutionner la formation par le e-learning. De fait, il fallait de la vision pour y croire : À l’époque, le e-learning était composé d’avatars, d’images en flash et de voix de synthèse, et la formation distancielle était peu usitée. Mais il est convaincu et s’accroche. Chez Unow, il développe le business. Très vite, il veut être au cœur du réacteur, et négocie d’être nommé DRH une fois les premiers salariés recrutés : C’était une revanche de montrer qu’il est possible d’innover tout en s’assurant que les gens se sentent bien dans leur équilibre pro-perso. 

 

Tester et itérer

 

Sa volonté première est de pouvoir rendre du temps aux équipes. Dès 2014, en avance radicale sur son temps, Pierre Monclos évoque la semaine de quatre jours mais se heurte à des réactions si ironiques qu’il remise cette idée sous le tapis, encore trop jeune pour la défendre. Je voulais encore plaire, se souvient-il. Les confrontations au réel s’enchaînent comme autant de tests d’agilité : J’avais la naïveté enthousiaste de me dire que nous allions implémenter tout ce qui était cool, à commencer par une organisation sans managers. Mais sans management, les choses ne fonctionnent pas. Il s’attelle donc à repenser la fonction managériale sous une forme plus aidante, moins directive, convaincu que ce n’est pas parce que les entreprises le font mal que tout est à jeter : il faut juste faire mieux.

 

Le combat pour la transparence

 

Grâce à l’esprit start-up il est possible d’aller vite. C’est ce qui plaît à Pierre Monclos, impatient de voir ses idées sur la culture d’entreprise prendre corps. La transparence a été le premier chantier. D’abord, la transparence stratégique, associée au fait de rendre les salariés actionnaires : Si des parts leur sont données, il faut leur expliquer la stratégie et les laisser la challenger.” La logique a été inversée, explique-t-il. Dans les entreprises, tout est confidentiel par défaut. Chez nous, tout est transparent par défaut, et nous avons en revanche défini ce qui resterait confidentiel : certains sujets financiers pouvant être anxiogènes, et des motifs de départ qui ne concernaient pas le collectif.
 
“L’un des buts de la transparence des salaires, c'est de montrer que la politique est objective, que les collaborateurs sont rémunérés en fonction de leurs compétences, d’expériences et d’appétences qui n’ont rien à voir avec la capacité à négocier son salaire, avec le genre, la nationalité ou le diplôme” 

 Il s’attaque ensuite à la transparence des salaires. Pierre Monclos et les cofondateurs d’Unow sont convaincus de sa nécessité. Le changement se fait sans trop donner le choix aux gens – ce qui, avec le recul, aurait pu faire l’objet d’une consultation, pour vérifier que c’était bien en phase avec les attentes des équipes.  Car en entreprise, les sujets de rémunération ne sont jamais simples : Certaines personnes ne sont pas à l’aise avec le fait d’être les moins bien payées ou les mieux rémunérées de l’équipe. Résultat, certains sont venus me dire qu’ils n’osaient pas partir plus tôt, puisqu’ils étaient mieux payés que leurs collègues.” Dès lors, il faut arbitrer : les problèmes découlant d’un principe vertueux sont-ils plus souhaitables que ceux que génèrent des rumeurs de favoritisme ? Le DRH et la direction tranchent : il s’agira d’assumer ces convictions, et d’œuvrer pour que l’organisation poursuive sa ligne selon les valeurs auxquelles ils croient. L’un des buts de la transparence des salaires, c'est de montrer que la politique est objective, que les collaborateurs sont rémunérés en fonction de leurs compétences, d’expériences et d’appétences qui n’ont rien à voir avec la capacité à négocier son salaire, avec le genre, la nationalité ou le diplôme. Néanmoins, Pierre Monclos concède la création de fourchettes dans la grille, afin de donner de la marge de manœuvre pour retenir certains talents – sans pour autant mettre en danger l’objectif égalitaire de départ : Je sais que toute personne peut demander des comptes pour comprendre un écart de salaire, ce qui autorégule les écarts qui seraient injustifiés.

 

Déconstruire et construire pour une entreprise inclusive

 

À mesure que Unow grandit, de nouvelles personnes intègrent la structure, accompagnées de leurs automatismes et parfois de leurs tendances aux petites blagues» sexistes. Je n’étais pas assez sensibilisé pour réagir en conséquence. Résultat, même si c’était marginal, ça a continué à bas bruit. Le déclic a lieu en 2018, lors d’un entretien avec la future DAF de Unow, une femme d’une trentaine d’années – donc en âge de procréer – qui lui raconte les discriminations sexistes qu’elle a subies partout où elle a postulé.

 

Il saisit alors l’ampleur systémique du problème. En tant que DRH, j’ai voulu prendre la parole. Dès que j’évoquais ce sujet, les femmes m’énuméraient les promotions qu’elles n’avaient pas eues, les remarques cinglantes si un congé maternité était prolongé. J’ai compris que la maternité – réelle ou potentielle – était la discrimination la plus communément admise au travail. L’écho médiatique est immédiat : Un DRH homme qui parle des discriminations faites aux femmes, ça remue les esprits.

 

“J’ai compris que la maternité – réelle ou potentielle – était la discrimination la plus communément admise au travail”  

Pierre Monclos veut maîtriser son sujet, et se met en réseau avec d’autres DRH qui créent des politiques pour soutenir les équilibres de vie et éviter toute discrimination. L’IDEA Pact naît alors, un collectif destiné à accompagner les entreprises vers plus d’inclusion et de meilleurs équilibres personnels. Rendre le temps» redevient central : Donner plus de congés, être flexible sur le télétravail et les horaires, cela constitue une base compatible avec tous les types d’enjeux de vie personnelle. C’est un bon premier pas pour l’inclusion. Il défend publiquement ce travail collectif, pousse des coups de gueule », une pratique peu commune parmi les DRH, qui font souvent des choses extraordinaires sans en parler. Sa force : oser assumer publiquement ses convictions, notamment grâce au soutien de son codir qui apprécie son courage.

 

Unow travaille à partir de cette base, signe le Parental Act pour allonger le congé coparent et avoir un impact qui dépasse l’entreprise. En ce qui concerne la diversité, Pierre Monclos recrute sans regarder les diplômes, mais admet que les âges chez Unow sont homogènes – un regret. Avec une grille de rémunération fondée sur les compétences, nous craignions que des personnes plus seniors demandent des packages salariaux plus élevés, et faute de temps pour résoudre ce problème, nous ne l’avons pas traité. Dans les premières années de Unow, nous sommes passés à côté d’expériences fournies.

 

“Avec l’IA on peut se surprendre à rêver, et à imaginer qu’on va pouvoir regagner du temps pour le passer avec ses équipes. Et je pense que c'est un rêve qui peut devenir réalité. Il était temps !”  

L’IA : le tournant

 

Après le Covid, Pierre Monclos décide de faire une pause professionnelle… qui n’a finalement jamais eu lieu. Il sort un livre en 2023, Quand les start-up, scale up et licornes réinventent les RH (Dunod). Puis il découvre l’IA et ses potentiels usages dans la fonction RH. Il en parle danstrois posts LinkedIn » ce qui, compte tenu de son audience, l’amène à être envahi de propositions de conférences. Il se met à son compte et refuse 80 % des demandes, faute de temps. Son approche : adopter une posture enthousiaste, pour commencer par tirer parti des perspectives ouvertes par l’IA avant de succomber à l’anxiété : Avec l’IA on peut se surprendre à rêver, et à imaginer qu’on va pouvoir regagner du temps pour le passer avec ses équipes. Et je pense que c'est un rêve qui peut devenir réalité. Il était temps !

 

Et la suite ? Pour l’instant, le plan est qu’il n’y a pas vraiment de plan. J’ai encore plein de choses à faire pour rendre aux RH ce qu’ils m’ont transmis. Mes pairs m’ont appris 80 % de mon métier, et là je peux le faire à mon tour tout en gagnant ma vie, explique-t-il. Devenu père, il veille à transmettre à sa fille la liberté d’être elle-même, tout en envisageant son prochain combat : la transition climatique. Pierre Monclos suit sa route, et le suivre est, décidément, enthousiasmant.

 

Judith Aquien 

 

 

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