Un sourire immense, des yeux qui pétillent, Mathilde le Coz, DRH de Forvis Mazars, ouvre les portes de ses bureaux au cinquième étage de la tour Exaltis, à la Défense. Livre de mode, affiche d’art contemporain… Tout indique déjà le caractère atypique de celle qui ne cesse de réinventer les ressources humaines.
Mathilde Le Coz : l'empathie
Le parcours de Mathilde le Coz n’est pas ordinaire. D’abord attirée par la finance, un domaine rationnel et logique, elle débute sa carrière chez Mazars en 2004, en tant qu’auditrice financière spécialiste de trésorerie d’entreprise. Si ses performances font l’unanimité, sa personnalité détonne un peu : ce qui l’anime, c’est avant tout son sens du service et son désir de créer du collectif.
Ne rien lâcher
Fille de parents vétérinaires, elle fut très tôt sensibilisée aux valeurs que sont l’entraide et le soin. Petite, elle voulait rejoindre Médecins sans frontières, pour “aider les plus démunis”. En 2009, son naturel altruiste lui ouvre les portes des ressources humaines. Sa capacité d’écoute et son aptitude à impulser de nouveaux projets la mènent jusqu’au poste de responsable de la gestion de carrière pour les activités advisory du cabinet Mazars. Enthousiasmée par ses nouvelles responsabilités et persuadée que les ressources humaines correspondent à sa personnalité, les circonstances semblent lui sourire. Mais la déception n’en est que plus grande lorsqu’elle se rend compte que les professions des RH “ne sont pas appréciées” : alors qu’elle veut se rendre utile au collectif, elle sent que ses collaborateurs s’éloignent d’elle. “Cela m’a beaucoup affectée”, confie Mathilde le Coz. “J’ai même envisagé d’abandonner pour devenir auto-entrepreneuse.”
Alors qu’elle doute, un projet de réaménagement d’espace lui offre une occasion qu’elle ne peut manquer. Sa passion pour la conduite du changement lui permet de s’engager pleinement dans cette nouvelle mission, et de s’entourer d’opérationnels impliqués. Peu après, un nouveau défi émerge : l’innovation RH. Mathilde le Coz s’en empare : “La possibilité de créer mon travail de A à Z m’était offerte.”
Pour elle, l’innovation RH est l’occasion de réinventer les parcours professionnels, à commencer par le sien, pour “sortir du cadre, tracer sa propre route”. Elle lance alors plusieurs programmes, dont Innov’Inside, qui consolide la culture intrapreneuriale chez Mazars, en adéquation avec ses convictions. Vient ensuite HR Family, un écosystème d’entreprises et de start-up conçu pour accompagner l’innovation et aider à bâtir un nouveau contrat social. Elle contribue ainsi à l’essor de Jubiwee, Mailoop et bien d’autres solutions RH. Cette initiative lui vaut d’être couronnée par le Prix du mieux travailler à l’ère numérique de l’ANDRH en 2019.
Maximiser le réel
En 2021, sa carrière prend un nouveau tournant quand elle est nommée DRH de Mazars – devenu depuis Forvis Mazars. Femme active et engagée, elle devient présidente du Lab RH cette même année. Elle garde toutefois les pieds sur terre et rappelle qu’elle a accepté ce poste à responsabilité non pour le titre mais pour la mission. Mère de trois enfants, elle sait reconnaître l’importance des attaches personnelles et en tenir compte. Pour mieux séparer vie professionnelle et vie personnelle, elle déménage à Rennes et profite pleinement de l’ancrage que lui apporte sa vie de famille. “Mes enfants me transmettent l’envie de continuer à apprendre, ils me permettent de sans cesse rester émerveillée.” Pour nourrir cette soif de connaissance et sa curiosité, elle met aussi un point d’honneur à poursuivre ses passions : la danse, les expositions d’art ou de design et la mode. Des domaines qui stimulent sa créativité et renforcent sa confiance en elle.
Quelle est la clé de son succès ? Toujours se rappeler qu’il est possible de “maximiser le réel ”: se réinventer, changer d’angle de vue. Cette idée imprègne sa politique RH. “Choisir, c’est renoncer. Chacun doit pouvoir développer ses compétences, avoir le choix des mobilités et s’inscrire dans une dynamique d’intrapreneuriat. Cela passe par un soin particulier apporté au dialogue social.” Convaincue, elle évoque ses prochains projets chez Forvis Mazars : “Je souhaite coconstruire un dialogue social dynamique, le meilleur levier d’engagement sur le long terme. Par ailleurs, nous travaillons sur un modèle d’organisation intitulé Skills Based Organization, qui aura pour pilier l’acquisition et la portabilité des compétences.”
Quelle est la clé de son succès ? Toujours se rappeler qu’il est possible de “maximiser le réel” : se réinventer, changer d’angle de vue
L’innovation, toujours
Pour Mathilde le Coz, il est essentiel de repenser les processus RH et d’instaurer un changement radical pour promouvoir les compétences. Fini le recrutement sur un simple CV privilégiant les titres et l’ancienneté ; bienvenue à l’ère où les compétences priment. Il s’agit d’instaurer davantage de méritocratie au sein du marché du travail mais aussi de répondre aux défis actuels, comme l’essor du freelancing. D’après elle, “les individus partent pour valoriser pleinement leurs principaux assets et leurs compétences, dont certaines ne sont même pas exploitées par les employeurs, et pour en développer de nouvelles. L’entreprise et le modèle RH traditionnel doivent s’aligner sur cette réalité.”
Le soin
Interrogée sur son avenir, cette quadragénaire répond avec sincérité : “Je me demande parfois s’il est possible de rester DRH toute sa vie. C’est une profession de long terme, et il n’est pas toujours facile de continuer à prendre soin de soi et des autres sur une aussi longue période.” Lucide, elle rappelle les difficultés du métier : être au cœur de dialogues sociaux tendus, faire le lien entre les différentes parties prenantes, et toujours rester à l’écoute. Elle souligne que sans prendre un peu de recul, il devient impossible de bien faire ce métier. “Nous vivons dans une société qui met malheureusement trop souvent en avant ce qui divise plutôt que ce qui rassemble. Le rôle des RH est d’accueillir et de rassembler, ce qui demande beaucoup d’énergie, alors que l’aide est parfois rare. Si je perds la foi, si je ne peux plus exercer ce métier en âme et conscience, j’arrêterai.”
Le sourire de Mathilde le Coz ne semble jamais la quitter, et rend l’au revoir difficile. Elle finit par repartir d’un pas léger, le port de tête irréprochable, des boucles d’oreille d’une grande marque s’agitant à ses oreilles en cadence, une danseuse, une entrepreneuse, une leader… Ses idées sont nombreuses pour revitaliser le marché de l’emploi. Qu’en faire ? Ne faudrait-il pas ralentir, stopper le pas et tout simplement prendre le temps de regarder l’ensemble des gens qui s’animent ? Mathilde Le Coz ne cessera pas de prêcher sa leçon : il est toujours possible d’augmenter le réel.
Elsa Guérin