La cession d’une entreprise représente un acte déterminant pour tout chef d’entreprise. Dès lors, que faire du fruit de son travail ? Comment naviguer sur les marchés et les investissements que l’on ne maîtrise pas forcément ? Comment un multi-family office peut-il l’accompagner au mieux ? Réponse avec Mehdi Ali-Larbi, directeur général de FOBS.
Mehdi Ali-Larbi (Family Office Business Services) : "Le souhait premier des chefs d’entreprise est de protéger leur patrimoine"
Décideurs. Quelle est votre approche en matière d'allocation d'actifs et de diversification ?
Mehdi Ali-Larbi. L'idée est de faire prendre conscience au chef d'entreprise que le plus important est de se concentrer sur ce qui lui fait plaisir. Cela passe également par faire plaisir à ceux qu'il aime, car cela le rend encore plus heureux. Le temps est leur atout le plus précieux, et c'est pourtant le moins pris en compte. Après avoir vendu leur entreprise et ainsi couvert leurs besoins patrimoniaux, ils peuvent aborder de nouveaux projets avec une vision à long terme et une approche plus détendue.
Au lieu de précipiter les investissements pour obtenir des rendements rapides, ils devraient prendre le temps d'éviter les erreurs courantes. Il faut anticiper les projets, qui passent tant par l'achat d'un appartement à Paris ou d’une villa sur la Côte d'Azur que par les études des enfants. S'adapter aux cycles économiques permet de saisir les opportunités. Les investisseurs avisés agissent en bas de cycle et prévoient plusieurs cycles sur différents marchés pour optimiser leur positionnement. La répartition entre actifs liquides et illiquides varie généralement entre 60/40 et 40/60, selon les profils et les montants en jeu. Plus le montant est élevé, plus la part illiquide est prépondérante.
Quelle est votre stratégie sur le marché des actions ?
Le choix des investissements durables peut être guidé par des critères objectifs qui mettent en évidence des entreprises résistantes face aux défis conjoncturels. La sélection passe souvent par la définition d'une zone géographique appropriée. La zone la plus familière pour nous est le marché occidental, notamment l'Europe de l'Ouest et l'Amérique du Nord. Les marchés émergents présentent des écueils et des opportunités spécifiques. Diversifier géographiquement n'est pas nécessairement synonyme de réduction des risques.
Par ailleurs, nous préférons travailler la répartition en classes d’actifs plutôt que géographique. Les marchés émergents ne bénéficient pas de performances stables et ne constituent pas un bon amortisseur en cas de turbulences. Par conséquent, le couple risque-rendement est moins pertinent.
Nous choisissons de compartimenter chacune des classes d’investissements afin que la stratégie soit claire et compréhensible pour les clients, qui sont principalement des chefs d’entreprise. Ils ont l’habitude de tout piloter et n’aiment pas perdre le contrôle. C’est pourquoi nous construisons des portefeuilles purs, en titres vifs, sur les actions ou les obligations. Nous parlons d’entreprises à des entrepreneurs, en écartant l’eau tiède des fonds patrimoniaux. Nous partageons également nos convictions avec les gérants et formalisons un échange. Cela alimente nos discussions avec les familles.
Qu’en est-il de la partie illiquide ?
Le private equity est la classe d’actifs offrant le meilleur alignement d'intérêt, un élément fondamental. Le private equity partage les gains, mais aussi les pertes, entre l'investisseur et le gérant. L’immobilier, locatif et transactionnel, demeure très prisé. Quant aux produits structurés, ils nous permettent d’établir des stratégies de portage similaires à celles que nous pourrions mettre en œuvre avec un portefeuille obligataire, sur des valeurs bien identifiées. Nous visons des performances solides, mais notre priorité est de préserver le capital et d'assurer un rendement. Notre but est de maximiser la probabilité que le déroulement du placement se passe conformément à nos prévisions. En somme, le souhait premier des chefs d’entreprise est de protéger leur patrimoine.
Lorsqu'il s'agit de prises de participations en direct, notre rôle est d'accompagner les dirigeants en activité à concevoir des stratégies qui correspondent à leur situation, toujours singulière. Pour ces entrepreneurs, il peut être intéressant d'investir dans des start-up opérant dans le même secteur que leur entreprise actuelle, leur offrant ainsi une veille technologique avancée. Cependant, afin d'éviter une concentration de risques, une diversification sectorielle pourrait être envisagée. Dans ce dernier cas, nous aidons à identifier des opportunités dans des secteurs différents qui résolvent également une question qui leur tient à cœur. Que ce soit des entreprises locales pour lesquelles ils ont une affinité régionale, ou des sociétés qui ont un impact dans des domaines tels que les énergies renouvelables, le recyclage ou la réduction des émissions de CO2.
Enfin, les actifs tangibles tels que l’immobilier en direct ou l’art viennent compléter les allocations. Les domaines viticoles représentent encore une expérience différente, avec plus ou moins d’implication de la part des familles.
Est-ce que la remontée des taux a modifié vos allocations ?
Nous étions positionnés principalement sur les actions, et peu exposés aux obligations ces dernières années, ce qui nous a permis d’éviter des déconvenues de 2022 sur la partie obligataire. Tout en gardant en vue les objectifs long terme des clients, nous pouvons opérer des choix tactiques en fonction du cycle et des politiques des banques centrales.
Récemment, il y avait un intérêt certain à aller massivement sur le compte à terme, placement optimal pour la protection du capital avec une visibilité de rendement et un coupon associé régulier, le tout sans frais de gestion. Avec des taux à 4 %, il est difficile de trouver mieux.
Néanmoins, il est important de maintenir une diversification des marchés et des établissements bancaires, ne serait-ce que pour suivre un principe de prudence. Il faut aussi jouer sur les autres classes d’actifs pour améliorer la performance globale et éduquer nos clients sur le fonctionnement de ces différents marchés.
Dans quelle mesure les considérations ESG sont-elles des préoccupations ?
Le domaine des critères ESG est en constante évolution et il reste du chemin à parcourir pour s'assurer que ces critères répondent pleinement aux attentes des investisseurs. Notre approche est sur mesure, centrée sur la création de portefeuilles qui reflètent fidèlement les convictions de nos clients. Les fonds ISR, bien qu'ils répondent aux préoccupations d'un large public, peuvent parfois manquer de spécificité pour certains dirigeants. C'est pourquoi, en travaillant étroitement avec nos clients, nous élaborons un cahier des charges qui tient compte de leurs critères de sélection et objectifs. Ensuite, nous créons un portefeuille qui est à leur image et en accord avec leurs valeurs.
Quel est votre approche en matière d’éducation financière des clients et des générations plus jeunes ?
Un rapport d'adéquation, outil indispensable d'analyse préalable, est systématiquement remis à nos clients pour chaque investissement. Il garantit une vision claire des stratégies au regard des objectifs et de la tolérance au risque. Chaque nouvelle opération est l'opportunité de revoir les objectifs, de faire le point sur les réalisations, et d'assurer une stratégie d'investissement cohérente. C'est afussi le moment de clarifier la stratégie globale et ses implications, et d'expliciter les différentes poches ou les sujets potentiellement mal compris.
Pour nous, cette approche pédagogique est fondamentale. En effet, la peur de l'inconnu génère souvent plus d'appréhension chez l'investisseur que le risque lui-même. Une fois la situation bien comprise, il peut alors évaluer et gérer son risque. Prenez l'exemple de l'investissement en tant que business angel : le risque élevé est connu, mesuré et assumé.