Ce sont des dossiers comme les autres, ou presque. Les affaires politico-judiciaires demandent aux avocats de comprendre les faits et le droit, comme toujours. Mais également d’effacer quelques certitudes : dans ces situations, la bataille juridique n’est pas la seule à mener. Le procès se joue aussi dans les médias.
Media lex, sed lex : être l’avocat d’une personnalité politique
Quand on vous dit Édouard Balladur, Adrien Quatennens et Éric Dupond-Moretti, sans doute pensez-vous à “personnalités politiques”. Peut-être aussi pensez-vous à “affaires judiciaires”. Allons plus loin : pensons à ces hommes et femmes en robe noire qui les accompagnent. Pour ces avocats, les dossiers politiques équivalent – presque – à des dossiers “classiques”. L’objectif reste inchangé : “Déployer tous les efforts possibles pour obtenir une relaxe”, estime Félix de Belloy, qui a défendu Édouard Balladur devant la Cour de justice de la République dans l’affaire Karachi. “Il faut conserver la même rigueur, le même rythme et les mêmes réflexes”, ajoute Christophe Ingrain, l’avocat d’un ancien confrère devenu ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, également assisté par Rémi Lorrain. “Ces dossiers ne sont pas nécessairement plus difficiles”, juge celle qui représente notamment Adrien Quatennens, Jade Dousselin.
Ces affaires ont pourtant une particularité : elles sont médiatiques. Les avocats doivent s’y préparer, entendre aussi qu’un bon plaideur n’est pas toujours un bon communicant. “Dans tous les cas, il y a un risque de préjudice, analyse Jade Dousselin. Quand on choisit de ne pas aller rencontrer les médias, l’opinion publique peut avoir le sentiment que le client a quelque chose à cacher. Lorsque l’on y va, il existe toujours le risque d’une erreur de communication.” Sur certains dossiers, les avocats peuvent eux-mêmes faire appel à des professionnels de la communication, car “la rédaction d’un communiqué de presse peut être aussi importante que la rédaction de conclusions”, explique Félix de Belloy. L’avocat d’Édouard Balladur a trouvé sa stratégie : accepter le jeu du débat médiatique, caricatural, et s’en tenir à quelques éléments de langage.
Ci-gît la présomption d’innocence
Seulement voilà, dans un dossier politique, le regard des médias compte. “Lorsqu’il se retrouve au centre d’une affaire judiciaire, un client non issu du milieu politique est très inquiet, raconte Christophe Ingrain. Une personnalité politique concernée par un dossier judiciaire est non seulement très inquiète mais doit gérer en plus l’exploitation médiatique du processus judiciaire.” Quand ces deux mondes se rencontrent, le droit ne conserve pas la priorité. “L’enjeu judiciaire devient malheureusement seulement l’un des enjeux”, analyse Jade Dousselin. Mais c’est “le tribunal de l’opinion [qui] est le véritable enjeu immédiat”, complète Félix de Belloy. Les avocats plongent dans un univers où le monde médiatique est rapide, le judiciaire bien plus lent. À tel point que, pour l’avocate d’Adrien Quatennens, “il est hélas pratiquement impossible de ne pas se défendre dans les médias avant de le faire juridiquement”. Les avocats et leurs clients doivent convaincre l’opinion autant qu’ils doivent convaincre les juges. Et accepter que, parfois, convaincre ces derniers ne suffit pas. “Il peut y avoir une forme d’amertume, confie Félix de Belloy, à la fin d’un dossier pourtant gagné. La présomption de culpabilité des décideurs politiques est telle dans l’opinion que l’innocence judiciaire n’a que peu de portée.”
"La réhabilitation judiciaire arrive souvent trop tard, quand le mal est fait"
C’est la particularité du monde médiatique : dans celui-ci, contrairement aux prétoires, la présomption d’innocence n’existe pas. Pas facile, quand on est avocat, quand le droit de la défense nous habite, d’assister à l’enfouissement d’une notion si centrale. Alors, quand les détails du dossier se retrouvent dans la presse, “il faut être prêt à réagir publiquement”, affirme Félix de Belloy. “Trouver aussi le bon équilibre entre la protection du client dans les médias et la loyauté que l’on doit à l’enquête et aux magistrats”, poursuit Christophe Ingrain. Magistrats qui peuvent être influencés par ce qu’ils voient et lisent ? L’avocat du garde des Sceaux pense qu’“ils sont imperméables à un bon article ou à un mauvais. Ils se fient aux pièces du dossier judiciaire.” Mais ils ne sont parfois pas les seuls, déplore Jade Dousselin : “La présomption d’innocence n’est pas la seule à être bafouée. Le secret de l’instruction n’est pas respecté, lui non plus.”
“Boîte aux lettres”
Personne n’a pourtant rien à gagner de la sur-médiatisation. Pour les prévenus, on le comprend aisément : une réhabilitation judiciaire arrive souvent trop tard, quand le mal est fait. Pour les victimes, c’est peut-être plus subtil. “En réalité, quand la justice ne peut pas travailler dans le secret, c’est regrettable”, souffle Jade Dousselin. Que la médiatisation serve à porter une affaire en justice, pourquoi pas. Le problème, développe l’avocate, c’est qu’il y a une “sur-médiatisation des débuts d’affaires et une sous-médiatisation des verdicts lorsqu’ils sont favorables aux clients”. Finalement, tranche Félix de Belloy, “moins l’affaire est médiatique, mieux c’est”. S’il se dit inquiet du traitement réservé par les médias aux affaires judiciaires, lui préfère ne pas se retourner contre eux et “passer à autre chose, pour le bien du client”. Christophe Ingrain aime agir : “Passer par des actions en diffamation ou injure lorsque les choses vont trop loin est notre seul moyen de faire respecter la présomption d’innocence.” Il ne gagne pas toujours, mais décroche quelquefois le respect de ses interlocuteurs.
"Quelque part, nous sommes sûrs de perdre"
Ceux qui portent la robe ne se considèrent pas comme des personnes médiatiques. lls ne s’expriment que pour porter la parole de leur client : c’est une prolongation de la mission d’assistance. Pour le reste, lorsqu’il voit son nom cité dans les médias, Christophe Ingrain se dit que “ce n’est pas différent que de le voir écrit sur une boîte aux lettres”. Jade Dousselin a “toujours considéré que ce n’était pas son image qu’[elle] cherchait à mettre en valeur”. Et d’ajouter : “J’ai pu entendre récemment que j’avais été choisie car j’étais une femme. C’est suranné et sexiste. J’ai été choisie pour ce que je pouvais apporter en tant qu’avocate.”
24 heures sur 24
Dans le monde privé, lorsque le verdict tombe et qu’il est favorable au client, la satisfaction supplante tout le reste. Survit-elle dans le monde politique, quand on sait que le tribunal médiatique ne se rangera pas du côté des juges ? Oui, dans l'immédiat. “Le fait que ce ne soit pas imprimé dans l’opinion publique nous frappe plus tard, glisse Félix de Belloy. Mais lorsque l’on défend des personnalités politiques, c’est le politique qui l’emporte. Quelque part, nous sommes sûrs de perdre. Si nous perdons, le jugement confirme celui de l’opinion. Si nous gagnons, c’est que les juges sont des vendus.”
À la fin, Jade Dousselin sait que “la justice a toujours été le dernier interlocuteur”. Quand elle s’adresse à un média, c’est aux magistrats qu’elle s’adresse, “d’une certaine façon”. Avec un autre code. Bien sûr, la sérénité est plus grande “quand on travaille pour un client qui n’est pas médiatisé”, reconnaît Félix de Belloy. Mais ces dossiers politiques lui offrent l’occasion de se dépasser. De tricoter la défense la plus robuste pour un client d’envergure, souvent “plus intelligent que [lui]” et convoité par de nombreux cabinets. D’être, aussi, celui qui aidera à “créer le moment où quelqu’un écrasé par la pression de l’accusation parvient à percevoir le chemin de la relaxe”. C’est ce sentiment d’utilité qui anime Christophe Ingrain. Celui du collectif, également : “La satisfaction est immense quand j'observe toute une équipe pénale se mobiliser 24 heures sur 24 au service du client. Au service de sa défense, pour démontrer le caractère infondé des accusations portées contre lui.” La voilà, la raison d’être de l’avocat.
Olivia Fuentes