Philippe Pelletier (Habitat et Humanisme) : "Il est temps de réveiller nos forces collectives !"
Décideurs. Pouvez-vous revenir sur votre parcours, comment d’un avocat spécialisé dans l’immobilier, en êtes-vous venu à vous engager ?
J’ai toujours eu un goût pour l’action collective. Je l’ai réalisé à la fois dans le cadre de mon métier d’avocat et au cours d’activités extra-professionnelles que j’ai menées depuis le début de ma carrière. Du point de vue de mon métier d’avocat, cette appétence s’est traduite par la création d’un cabinet assez important [Ndlr : LPA]. Quand je l’ai quitté il y a huit ans, il comptait près de 250 avocats répartis dans une douzaine de villes à travers le monde. Du côté associatif, j’ai traduit ce goût du collectif avant même de devenir avocat, dans des actions de représentation et d’animation de réseaux associatifs.
Mon parcours s’est forgé en plusieurs étapes. La première a été de prendre la présidence de l’Union nationale des propriétaires immobiliers, l’UNPI, comptant 200 000 adhérents à l’époque, et qui représentait les bailleurs privés d’habitation et de commerce. J’ai essayé de transformer et recentrer cette organisation, en en faisant un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. Ce qui s’est produit : aujourd’hui des ministres participent à nouveau aux congrès de l’Unpi. C’est lors de l’un d’eux que l’un de ces ministres, Louis Besson, m’a repéré et m’a dit : « Il faut que vous transformiez un établissement public sur le modèle de ce que vous avez fait à l’UNPI. ». Il m’a donc donné la présidence de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat, que j’ai transformée en Agence nationale de l’habitat. Je suis resté président de l’Anah pendant dix ans, et je pense que nous avons vraiment réussi à la transformer pour le meilleur. J’ai alors été repéré par mon ministre de tutelle, qui était à l’époque Jean-Louis Borloo. Il m’a dit : « Ce que vous faites là est intéressant, accompagnez-moi au Grenelle de l’environnement. » J’ai donc commencé à jouer les petites mains à partir de 2007. Dès le Grenelle, il m’a confié le comité opérationnel chargé d’organiser la rénovation des bâtiments existants. J’ai donc mené cette barque-là ; le sujet était prioritaire et il fallait inventer une mobilisation de la société, initiée par l’État, mais très libre de son fonctionnement. C’est le Plan bâtiment durable, que j‘anime toujours.
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In fine, tout est affaire de rencontres ! Lorsque j’étais à l’Anah, je siégeais au haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, où mon voisin de table était Bernard Devert, président-fondateur d’Habitat et humanisme, qui m’a dit « venez donc dans mon Mouvement ». J’ai accepté sa proposition de siéger au conseil d’administration de la fédération Habitat et humanisme, dont je suis désormais président. Plus tard j’ai été repéré par Patrick Ollier, le président de la Métropole du Grand Paris, qui m’a dit : « Vos actions sur la démocratie participative m’intéressent, voulez-vous la présidence du conseil de développement de la métropole ? » C’est une structure assez hors normes, composée de 120 membres, 48 personnes qualifiées et 72 habitants ayant fait part de leur intérêt poury venir. Tous réfléchissent ensemble au mieux-vivre ensemble et font part de propositions aux élus métropolitains.
Toutes ces actions, plan bâtiment durable compris, sont bénévoles : j’ai toujours consacré 30 % de mon temps à cela, et depuis que je suis devenu avocat honoraire, c’est devenu quasiment un plein-temps. C’est une vie passionnante et bien remplie !
D’où vous est d’ailleurs venue cette appétence pour le monde de l’immobilier ?
Je sais absolument quel en est le déclencheur ! Avant d’être avocat, j’étais assistant à la fac de droit. À l’époque je réfléchissais à faire une carrière universitaire. J’ai toutefois pris la direction d’une entité interne au notariat appelée le Cridon (Centre de recherche, d’information et de documentation notariales). Elle regroupait des chercheurs qui indiquaient aux notaires comment appliquer la loi sans attendre des décisions de la Cour de cassation, souvent rendues trois ou cinq ans après l’adoption des textes… Notre rôle de conseil était donc important. Nous étions une cinquantaine de consultants de bon niveau à nous saisir des nouveaux textes. Au moment où la loi Quilliot a été votée [Ndlr : qui a établi le cadre juridique relatif aux rapports locatifs d’habitation, en 1982], j’ai préempté le sujet alors que je ne connaissais rien au droit locatif ! Et j’ai tout de suite constitué un collectif de juristes représentantdes associations de propriétaires, des magistrats, des associations de locataires et des membres de l’administration dans un groupe informel. Ensemble nous avons réfléchi à la façon d’appliquer cette loi, de l’interpréter et d’en parler. C’est d’ailleurs là que j’ai été approché pour prendre la tête de l’UNPI. J’ai donc commencé un peu par hasard avec le bail d’habitation, ce qui m’a conduit à m’intéresser aux politiques de l’habitat.
Cela fait plus de quinze ans que vous êtes à la tête du Plan bâtiment durable. Lesquels de vos succès vous ont marqué ?
À la réflexion, ces quinze ans se divisent en trois périodes phares. La première période de cinq ans a été une sorte d’usine à fabriquer des dispositifs qui se sont retrouvés par la suite dans des lois et des règlements. Nous avons été un véritable creuset de créativité normative, fiscale et financière. Un exemple de mesure visible au quotidien est l’affichage des scores de DPE dans les agences immobilières ou la proposition de nouvelles règles de copropriété pour faciliter la prise de décisions collectives de rénovation. Ça a été une période de forte effervescence, avec plus d’une quarantaine de rapports écrits par des personnalités de secteurs très divers, issus notamment de la sphère privée. L’Étata largement pris en compte nos propositions et les a traduites dans les textes.
La deuxième phase a consisté en une évolution du modèle, que nous avons décliné à l’échelon local avec des plans bâtiment durable régionaux. Car si les objectifs de la loi Grenelle à l’horizon 2050 sont les mêmes pour tous, ils ne peuvent pas être atteints de la même manière partout. Il faut proposer des chemins différents, car les situations climatiques, architecturales et démographiques ne sont pas les mêmes sur tous les territoires. En fin de compte, des plans de ce type ont été déployés dans la moitié des régions françaises pour favoriser l’atteinte de l’objectif 2050.
De cette phase d’animation territoriale, nous sommes désormais concentrés sur la concertation qu’il faut mener sur des sujets que l’État traite ou traitera bientôt. Ainsi, par exemple, la concertation autour du décret tertiaire, coécrit avec une centaine de personnes que j’ai mises en lien avec l’administration. Cette méthode de coproduction a été un succès : le décret a été accepté et n’a pas fait l’objet de recours. Nous travaillons en ce moment sur la suite de cette concertation : nous ressentons collectivement la nécessité de suivre l’application de ce décret, d’en proposer l'évolution au fil du temps, d’observer la façon dont les plans de sobriété s’appliquent dans les entreprises, de proposer des adaptations aux transformations climatiques, mais aussi pour voir ensemble comment il sera possible de s’occuper du petit tertiaire. Les locaux de moins de 1000 mètres carrés ne sont pas encore concernés, mais ils vont eux aussi devoir s’adapter aux changements climatiques.
Nous sommes aussi en train de clore bientôt une grande concertation, qui réunit plus de mille personnes dans le but d’élaborer ce que nous appelons « Cap 2030 ». Il s’agit de définir une dizaine de critères, qui viennent renforcer la Réglementation environnementale RE 2020, afin de véritablement inscrire un bâtiment dans son environnement. Je pense à l’eau, à la qualité de l’air, à l’économie circulaire, à la biodiversité… En bref, des sujets qui ne sont pas appréhendés par cette réglementation, mais qui pourraient l’être dans celle qui entrera en vigueur dans les années 2030. En attendant, ces éléments pourront venir nourrir des labels. Nous avons donc été mandatés par l’État afin de mener cette concertation, qui arrivera à maturité début 2025.
Quels sont à votre avis les grands chantiers dont il faut encore se saisir ?
Le principal enjeu, c’est qu’après quinze ans de sensibilisation réussie de la société, nous devons arrêter de penser la rénovation énergétique d’un bien immobilier au sens strict comme cela a été fait jusqu’à présent. Nous l’avons fait dans une optique d’économies d’énergie, d’accès au chauffage pour les personnes précaires, le plus souvent à une échelle limitée au logement et aux bâtiments collectifs.
Il faut changer d’optique : nous devons agir en prenant en compte une sphère géographique élargie : pâté de maison, lotissement, centre-ville… Le tout en menant une action sur tous les biens, quel que soit leur usage, et en concertation avec les élus locaux, qui doivent avoir un rôle de chef d’orchestre. Il faut adopter une vision collective, plutôt que le prisme individuel qui a été privilégié jusqu’ici.
Et arrêtons de parler uniquement de rénovation énergétique ! Nous devons jouer sur le triptyque rénovation, sobriété et adaptation. Des efforts sur ces trois volets ont permis de baisser notre consommation d’énergie de 10 % deux hivers de suite. Il faut que cela s’inscrive dans la durée – c’est d’ailleurs la piste qu’a lancée le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu [Ndlr : ce dernier a été depuis remplacé par Agnès Pannier-Runacher]. Pour l’adaptation, le sujet majeur est de savoir comment une population vieillissante va pouvoir passer des étés de plus en plus chauds à domicile. Et pour ce qui est de la rénovation, elle doit être environnementale et pas seulement énergétique. Ces pistes n’excluent en rienla construction, bien au contraire, que ce soit sous la forme de surélévations, de libérations de friches, de fonds de cours qui peuvent être construits.. Nous devons nous inspirer des programmes Action cœur de ville, qui s’inscrivent parfaitement dans cette optique et où la maîtrise de l’action est donnée à l’élu local. Le soutien de l’État permet d’obtenir des résultats tout à fait spectaculaires.
Par ailleurs, il va falloir s’attaquer à la question du petit tertiaire, qui n’est pour le moment pas soumis aux réglementations environnementales mais qui subira lui aussi le changement climatique. Comment les locaux s’adapteront-ils pour qu’il soit possible d’y travailler convenablement, sans recourir à la climatisation dans les périodes de grande chaleur ? Nous allons donc devoir mettre autour de la table des personnalités différentes, élus, promoteurs, constructeurs, architectes, associations de défense de l’environnement, et réussir à les faire s’entendre sur des propositions .
Vous participerez au panel recyclage urbain lors du SIATI 2024. Quels sujets allez-vous aborder ?
Avant tout, il faut accepter le fait qu’il ne sera pas possible de réussir à atteindre nos objectifs sans une nouvelle phase de décentralisation. Il faut donner de vrais pouvoirs et ressources aux maires et présidents d’intercommunalité. Il faut aussi élargir la sphère d’action actuelle, en installant le triptyque rénovation, sobriété et adaptation. En cela le rôle de la construction est majeur : elle doit accompagner une stratégie de la demande qui doit partir de l’observation du terrain et de la production de logements là où le besoin s’en fait sentir. Des stratégies passées du type « il faut construire 500 000 logements en France » n’ont en pratique guère de sens. Et cette production neuve doit surtout s’accompagner d’une meilleure maîtrise du parc immobilier existant. Je ne me satisfais en rien des 3 millions de logements vacants ! Je ne me satisfais en rien de la sous-occupation manifeste d’environ 9 millions de logements ! Il faut trouver des solutions pour que cette offre disponible soit mobilisée. Oui à la construction, mais oui aussi à une meilleure utilisation des stocks !
Pour finir, avez-vous un message à faire passer à nos lecteurs et aux visiteurs du SIATI ?
Il est temps de réveiller nos forces collectives ! Nous avons cru pendant 40 ans que le modèle très verticale et centralisé de la reconstruction de la France allait pouvoir perdurer. Il est temps de retravailler, de développer la recherche et le développement, ce qui n’est plus fait depuis trop longtemps. Il faut se concentrer sur l’innovation afin d’améliorer la productivité insuffisante de la filière. Nous devons ensemble assurer la mue de l’industrie immobilière, que les autres secteurs de l’industrie ont déjà effectuée.
Propos recueillis par François Arias