La semaine prochaine, la toute nouvelle chambre de la cour d’appel créée pour les contentieux relatifs au devoir de vigilance des multinationales doit rendre son verdict sur la recevabilité de trois affaires : EDF/Mexique, Suez/Chili et TotalEnergies/Changement climatique.

En janvier 2024, une chambre spécialisée a été créée au sein de la cour d’appel de Paris spécialement pour le devoir de vigilance, qui n’a pas fini de faire parler de lui. Mardi prochain, le 18 juin, la chambre 5-12 présidée par Marie-Christine Hébert-Pageot rendra trois décisions dans trois affaires distinctes qui mêlent environnement et droits humains. C’est la recevabilité des dossiers EDF/Mexique, Suez/Chili et TotalEnergie /Changement climatique qui est en jeu.

Cousin

L’affaire TotalEnergies avait défrayé la chronique notamment avec les révélations du média indépendant Lanceur d’alerte sur le lien de parentalité entre un cadre du pétrolier et le magistrat Antoine Maupeou d’Ableiges qui avait jugé l’action irrecevable le 6 juillet 2023. Au grand dam des demandeurs, un collectif d’ONG et une coalition de 17 collectivités, dont Paris et New York, qui réclamaient à l’entreprise française de prendre des mesures pour réduire son empreinte carbone et notamment pour suspendre tous ses nouveaux projets de développement des énergies fossiles, sur le fondement du devoir de vigilance. Selon le juge, leur mise en demeure “ne [constituait] pas une interpellation suffisante et ne [pouvait] servir de base à une négociation utile avant la délivrance de l'assignation.”

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Il avait également exclu l’intérêt à agir des collectivités locales et de l’association Éco-maires. Restriction d’accès à la justice, retardement de l’analyse du dossier au fond, la coalition avait déploré cette décision dont elle a fait appel. La bataille juridique avait démarré en 2020 avec l’assignation de TotalEnergies devant le tribunal de Nanterre. Le dossier n’a toujours pas été examiné au fond. Les avocats de TotalEnergies avaient d’abord soulevé une exception d’incompétence devant le tribunal de Nanterre.

Quelques péripéties procédurales plus tard, le dossier arrive sur le bureau du tribunal judiciaire de Paris, et du juge de la mise en état, Antoine de Maupeou d’Ableiges –  le cousin de l'employé du pétrolier. À ce propos, TotalEnergies n’a pas souhaité commenter "des questions relevant de l’organisation de l’institution judiciaire". Et d’assurer que “l’employé en question n’a aucune relation avec le contentieux et n’a jamais été impliqué dans celui-ci d’une quelconque façon”. La ligne de défense de l’entreprise dans cette affaire repose sur l’exclusion du risque climatique du devoir de vigilance. “Pour nous, le plan de vigilance n’est pas l’outil de traitement des sujets climatiques”, expliquait Rémi Nouailhac, responsable juridique et développement durable chez TotalEnergies dans une interview à Décideurs Juridiques.

Point de blocage

Les deux autres affaires avaient subi le même sort. En mars 2024, l’affaire EDF/Mexique est portée devant la cour d’appel de Paris, après une première décision de novembre 2021 qui déclarait irrecevable l’action des représentants d’Unión Hidalgo, de l’organisation mexicaine ProDESC et du Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains (ECCHR) contre EDF pour violation des droits humains et de l’environnement. Même point de blocage que dans l’affaire TotalEnergies : la mise en demeure. Notifiée à EDF en 2019, elle ne visait pas le même plan de vigilance que l’assignation présentée en 2020. Dans un article consacré à la troisième affaire*, les universitaires Jean-Baptiste Barbièri et Antoine Touzain résument le problème : “Surtout, la mise en demeure et l’assignation doivent porter sur le même plan, ce qui est très critiquable”, le plan a vocation à évoluer dans le temps. “Depuis [2017, l’entrée en vigueur de la loi sur le devoir de vigilance], nous suivons une logique de mise à jour, avec l’enregistrement chaque année des éventuels nouveaux risques, processus, actions, etc.”, livrait le responsable juridique et développement durable de Total.

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Le projet Gunaa Sicarú 

Au cœur du dossier EDF : Gunaa Sicarú, le projet de parc éolien sur le territoire autochtone de la communauté Unión Hidalgo, soit 12 000 âmes. Les membres de cette communauté dénoncent depuis le début du projet en 2015 l’immixtion d’EDF dans les processus de décision d’Union Hidalgo. “Cette interférence d’EDF a même entraîné des divisions et des conflits violents au sein de la communauté. Les personnes qui ont émis des critiques vis-à-vis du projet – les défenseurs des droits humains et du droit à la terre – ont été menacées, attaquées, criminalisées”, expliquait en 2020 Guadalupe Ramirez, la représentante de la communauté Unión Hidalgo. “La loi française de vigilance prévoit clairement que nos droits doivent être protégés”. Pour les demandeurs, le leader français de l’énergie aurait dû prévenir les risques liés au projet Gunaa Sicarú : la violation des droits fonciers et du droit au consentement préalable, libre et éclairé de la communauté zapotèque à l’implantation de 115 éoliennes sur leurs terres ancestrales, et les violences envers les défenseurs des droits humains et de l’environnement. Selon Swann Bommier, chargé de plaidoyer chez CCFD-Terre Solidaire à l’époque, EDF aurait négocié directement avec les notables locaux en signant avec eux des contrats d’usufruit. “Ils se déclarent propriétaires des terres, alors qu’elles appartiennent à la communauté.” Au Mexique, la Commission fédérale d’électricité mexicaine a finalement décidé en juin 2022 de mettre fin au contrat de fourniture en électricité de sa filiale mexicaine, ce qui a pour conséquence l’abandon officiel du projet éolien.

Signature au bas du plan

Quant à la troisième affaire, elle concerne un scandale sanitaire dans la ville d’Osorno, au Chili. En juillet 2019, 2 000 litres de pétrole étaient déversés dans l’usine d’eau potable de Calpulli, exploitée par Essal une filiale de Suez. Réseau potable de la ville entièrement contaminé, coupure d’eau pendant plus de dix jours, état d’alerte sanitaire, cafouillage dans l’installation de points d’eau alternatifs… Pour les requérants (Red Ambiental Ciudadana de Osorno, la Fédération internationale pour les droits humains – FIDH – et ses organisations membres au Chili et en France : l’Observatorio Ciudadano et la Ligue des droits de l’Homme – LDH), Essal cumule les manquements aux droits des citoyens d’Osorno. Ils pointent le fait que la filiale n’a pris aucune mesure préventive et corrective pour faire face à une pareille crise sanitaire. Et ce, “alors même que la Superintendencia de Servicios Sanitarios (SISS), entité publique en charge de l’inspection de ce type de services au Chili, avait dès 2018 alerté sur les nombreuses anomalies de l’infrastructure, estimant le ‘risque élevé’ et avait imposé 36 amendes ces cinq dernières années à la société”.

“Il sera donc impossible à l’avenir pour des associations de savoir contre quelle entreprise porter l’action sur le devoir de vigilance dès lors que le plan de vigilance n’est pas signé”

Assignée sur le fondement du devoir de vigilance, Suez s’en tire à bon compte le 1er juin 2023. Avec ce litige, la jurisprudence sur le devoir de vigilance s’affine un peu plus. Le juge ajoute qu’à défaut de savoir qui avait établi le plan de vigilance, Suez Groupe SAS ne pouvait être considérée comme défenderesse à l’action. Clémence Bectarte, coordinatrice du Groupe d’action judiciaire de la FIDH, fait remarquer à l’époque que “selon cette interprétation, il sera donc impossible à l’avenir pour des associations de savoir contre quelle entreprise porter l’action sur le devoir de vigilance dès lors que le plan de vigilance n’est pas signé”.  Julie Février et Florian Curral-Stephen, avocats des associations requérantes, avaient immédiatement déclaré faire appel de la décision. “L’absence de décision substantielle sur les violations des droits humains dénoncées” plus de quatre ans après l’entrée en vigueur, étant tout à fait regrettable selon eux. Rendez-vous pris mardi 18 juin pour découvrir la position de la nouvelle chambre spécialisée.

Anne-laure Blouin

*“Caramba, encore raté ! À propos de l’affaire Suez en matière de vigilance des entreprises”par Jean-Baptiste Barbièri, maître de conférences à l'université Paris-Panthéon-Assas, membre de l’IRDA Paris et Antoine Touzain, professeur agrégé, univ Rouen Normandie, CUREJ, UR 4703

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