Y a-t-il un pilote dans votre flotte ?
Branle-bas de combat ! Les nouvelles du "fronts" sont inquiétantes et dans les flottes, il y a désormais urgence à s’équiper de véhicules propres. Durant l’été, la Commission européenne a ainsi dévoilé ses propositions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et atteindre la neutralité CO2. Celle-ci avait déjà imposé aux constructeurs automobiles pour 2020 un niveau moyen d’émissions de 95 g/km de CO2 pour les voitures neuves. En 2030, ces émissions devront encore se réduire de 55 % puis de 100 % en 2035. Autrement dit, dans moins de 14 ans, les voitures disposant d’un moteur thermique seront interdites de vente en Europe où ne devront subsister que les véhicules électriques ou hydrogènes.
Mais d’ici cette échéance, les flottes d’entreprises auront eu bien d’autres raisons de recourir à des voitures électriques. Car d’autres obligations sont récemment entrées en vigueur ; celles par exemple issues de la loi d’orientation sur les mobilités. Dès l’année prochaine, la LOM va obliger les entreprises à "verdir" leur parc. C’est-à-dire, à y intégrer des quotas de véhicules électriques ou hybrides rechargeables. À partir du 1er janvier 2022, lors du renouvellement annuel de leur flotte, toutes les sociétés disposant d’un parc de plus de 100 voitures particulières devront acquérir une part minimale de 10 % de véhicules à faibles émissions. Cette part passera à 20 % en 2024. De plus, les articles votés durant l’été dans le cadre de la loi Climat et résilience renforcent la montée en puissance des véhicules propres dans les flottes. Ce quota grimpera à 40 % du parc renouvelé en 2027 puis à 70 % en 2030. C’est donc une véritable bascule vers les véhicules électriques et hybrides rechargeables que les flottes d’entreprises vont devoir mener.
Les ZFE ferment les centres-villes
Autre décision réglementaire qui va rapidement orienter les flottes vers l’acquisition de véhicules électriques : l’instauration des ZFE-m (Zones à faibles émissions- mobilités). Après Paris, Grenoble et Lyon qui ont fermé les portes de leurs centres-villes aux véhicules les plus polluants, désormais, l’instauration de ZFE touche l’ensemble de la métropole du Grand Paris ainsi que Aix-Marseille, Montpellier, Nice, Rouen, Strasbourg, Toulon et Toulouse. Et d’ici 2025, toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants auront le devoir d’instaurer une ZFE-m. Il reviendra à ces collectivités de fixer les restrictions de circulation applicables aux véhicules les plus polluants afin de poursuivre l’amélioration de la qualité de l’air.
"Les véhicules que je commande aujourd’hui auront-ils encore le droit de circuler d’ici trois ans ?"
L’élection de plusieurs maires écologistes à la tête de grandes villes est aussi prise en compte : "Les véhicules que je commande aujourd’hui auront-ils encore le droit de circuler d’ici trois ans ?", s’interrogent forcément les entreprises. Ainsi, déjà engagée dans le processus des ZFE, la métropole de Lyon prévoit en 2022 d’étendre l’interdiction de circulation et de stationnement à tous les véhicules classés Crit’Air 5. Puis en 2026, à l’ensemble des véhicules classés Crit’Air 4, 3 et 2, soit l’ensemble des véhicules diesel.
Un bonus toujours incitatif
Enfin, côté fiscalité, bien que réduit depuis le 1er juillet dernier, le bonus écologique prévu par la loi de finances 2021 incite toujours les flottes à s’ouvrir à la transition énergétique. Pour les véhicules 100 % électriques dont le coût réel d’acquisition pour les flottes est inférieur à 45 000 €, le bonus s’élève désormais à 4 000 €. Les véhicules électriques, dont le coût d’acquisition réel est compris entre 45 000 € et 60 000 €, bénéficient d’un bonus de 2 000 €. Enfin, pour l’achat de véhicules hybrides rechargeables, un bonus de 1 000 € est accordé à condition que ceux-ci aient une autonomie électrique supérieure à 50 km et un coût d’acquisition inférieur à 50 000 €.
On ne saurait clore le chapitre de la fiscalité sans rappeler qu’à partir de 2022, un malus au poids (cumulable avec le malus écologique) sera appliqué aux véhicules de plus de 1,8 tonne. Au-delà de ce poids, le montant de la taxe s’élèvera à 10 € par kilo excédentaire. Sont exclus du malus au poids, les véhicules électriques et les modèles hybrides rechargeables.
Les flottes s’achètent une conduite électrique
Beaucoup d’entreprises ont déjà réagi à l’introduction de ces mesures et se sont engagées dans la voie de la transition énergétique. Au printemps dernier, Atos a annoncé son intention de remplacer l’ensemble de ses 5 500 véhicules par des modèles électriques d’ici 2025. À cette même date, ce groupe souhaite avoir réduit les émissions de carbone de sa fl otte de 50 %. Même démarche suivie chez Siemens qui va introduire en janvier prochain un nouveau modèle de car policy, lequel incitera ses collaborateurs à utiliser des véhicules électriques. Dans ce groupe allemand, le parc de voitures de fonction attribués aux dirigeants compte près de 1 500 véhicules, dont 50 % sont des véhicules électriques et hybrides. Siemens s’est fixé pour objectif de faire passer sa flotte mondiale à une mobilité 100 % électrique d’ici à 2030.
Enfin, avec les mêmes objectifs de neutralité carbone, Cap Gemini a annoncé durant l’été son intention de renoncer à tout achat de véhicule diesel ou essence, au profit de voitures particulières et de véhicules utilitaires hybrides et électriques, pour sa flotte de 12 000 véhicules. D’ici fin 2022, plus de 50 % de sa flotte sera hybride ou électrique et 100 % d’ici fin 2025, indique Cap Gemini.
"Nos recherches montrent qu’il est déjà possible de faire passer une grande partie des flottes existantes aux véhicules électriques"
Si toutes les entreprises n’ont ni la taille, ni la capacité d’engagement de ces groupes, elles ont en revanche l’obligation de se pencher sur le sujet de l’électrification de leur flotte. Pour beaucoup d’entre-elles, la solution passe par la détection des véhicules qui, compte tenu de leur utilisation, pourront être renouvelés par des modèles électriques ou hybrides. Nombreux sont les prestataires de services proposant à cet égard une offre d’analyse de la mobilité permettant de se mettre en conformité avec les mesures de la loi LOM. Il en va ainsi de la solution d’analyse e-Fleet développée par Mobility Tech Green. Celle-ci est destinée à organiser le verdissement progressif des flottes tout en intégrant des mobilités alternatives, telles que l’autopartage, répondant aux besoins de déplacement des collaborateurs. Sur la base des informations recueillies par le boîtier télématique de MTG qui équipe les véhicules, les gestionnaires de parc peuvent accéder sur la plateforme E-Fleet à de nombreuses remontées d’informations sur l’usage réel de leurs véhicules. Ils disposent également d’un diagnostic pour déterminer les véhicules éligibles à l’électrique.
Les Data à l’aide des flottes
"Nous transformons en conseil les données liées au kilométrage, à la consommation, aux arrêts-moteur et proposons ainsi un score de convertibilité à l’électrique en tenant compte de l’autonomie des modèles électriques ainsi que de la puissance des bornes de recharge disponibles ou à installer", explique Alexandre Fournier, directeur marketing et communication de Mobility Tech Green.
Masternaut, filiale de Michelin, vient aussi de dévoiler sa nouvelle solution destinée à faciliter la gestion des flottes lors de leur transition vers des véhicules électriques. Baptisée MoveElectric, cette formule a recours aux data issues de l’usage réel des véhicules connectés de ses clients afin d’identifier quels sont les trajets compatibles avec l’utilisation d’un modèle électrique. La plateforme MoveElectric permet en effet aux gestionnaires de flottes de mesurer et de démontrer les avantages de la transition vers des véhicules électriques, que ce soit en termes d’efficacité, de réduction des émissions de CO2 ou d’économies financières.
"La transition vers l’électrique est un défi logistique et nos clients doivent être en mesure de pouvoir effectuer une analyse de rentabilité avant de changer les choses. La plateforme MoveElectric évite d’avoir à se fier à des estimations. Tout est calculé en lisant les informations provenant directement des véhicules actuellement utilisés. Cela nous permet de donner à nos clients une lecture très précise de ce qui est immédiatement réalisable sans perturber le flux de travail ou l’efficacité", explique Alberto de Monte, directeur du segment commercial OEM, EV et mobilité durable de Masternaut. "Nos recherches montrent qu’il est déjà possible de faire passer une grande partie des fl ottes existantes aux véhicules électriques et que “l’angoisse de l’autonomie’’ est, dans la majorité des cas, sans fondement".
Véhicules électriques : déjà un potentiel de 43 %
Masternaut a ainsi mesuré en un an les données émanant de 37 252 véhicules effectuant moins de 200 km par jour. Cette étude montre que 43 % des véhicules à la route pourraient être remplacés par des modèles électriques. Cela permettrait aux flottes de réaliser des économies de carburant à hauteur de 75 % et de réduire globalement les émissions de CO2 de 11,4 millions de tonnes.
"Passés les effets de la crise sanitaire, les entreprises ont massivement abandonné leur outil de gestion traditionnel tel que les fi chiers Excel pour recourir à la digitalisation et à l’IA"
Autant dire que l’analyse des données des véhicules par des télématiciens a le vent en poupe. Ainsi, SuiviDeFlotte a enregistré l’arrivée de 300 nouveaux clients l’an passé. Récemment, ce prestataire nantais s’est également engagé dans cette démarche d’analyse de l’usage des parcs automobiles des entreprises pour apporter des recommandations à ses clients. Comme l’explique le dirigeant de l’entreprise, Julien Rousseau, "au cours des derniers mois, et à la suite des périodes de confinement, beaucoup d’entreprises ont voulu se doter de nouveaux outils pour bien piloter leurs activités et faire face aux changements d’organisation intervenus suite à la crise sanitaire". Mais c’est aussi à l’occasion du passage à l’électrique que de nombreuses fl ottes ont recours aux data pour s’organiser. Chez SuiviDeFlotte, de nouveaux outils ont été préparés pour répondre à cette demande. Ils reposent sur les données recueillies par les boîtiers équipant les véhicules, permettant à la plateforme de procéder à une analyse du parc.
Des outils pour gérer l’usage des véhicules électriques
"À partir de l’analyse des trajets, des arrêts et des comportements de conduite, indique Julien Rousseau, nous émettons des recommandations concernant les véhicules et les conducteurs pouvant s’orienter vers le véhicule électrique. Nous constatons d’ailleurs une forte propension de nos clients à utiliser ces recommandations pour montrer à leurs donneurs d’ordres leur engagement dans la transition énergétique". Autres solutions développées par ce télématicien : l’accompagnement des conducteurs au travers d’une application qui fournit des conseils de conduite et de recharge des véhicules électriques et la mise en place d’un défi dans le domaine de l’éco-conduite et du freinage régénératif. Enfin, SuiviDeFlotte a également mis en place des outils à destination des entreprises tels que l’envoi de notifications de fin de charge afin que les véhicules électriques ou hybrides rechargeables n’encombrent pas les zones de stationnement une fois la charge de leurs batteries achevées. Pour Julien Rousseau, les flottes sont désormais confrontées à un véritable moment électrique. "Dans les prochains mois, notre portail va intégrer les ZFE et nous seront en mesure de prédire à nos clients quels véhicules sont amenés à circuler dans ces zones, pour lesquels il doit être envisagé qu’ils passent à l’électrique".
Les flottes à la recherche de productivité
Reste que ce passage à l’électrique va se traduire pour les entreprises à la fois par une augmentation de leurs coûts de flottes et par la nécessité d’optimiser la gestion des véhicules ; quitte à en réduire parfois le nombre. "Nos clients se tournent vers nous afin de mettre le sujet automobile sous contrôle sur le plan de la gestion administrative et opérationnelle et pour envisager les transformations liées aux évolutions réglementaires, explique Laurent Hauducoeur, directeur commercial de Traxall. Mais tous souhaitent que nous leur apportions également une connaissance et une vision pour organiser leur politique automobile au regard d’un environnement changeant". Et ce spécialiste du fleet management qui gère en France un parc de 60 000 véhicules pour le compte de ses clients, rappelle que le coût moyen d’un véhicule en entreprise s’élève à 10 000 € chaque année (6 500 € pour un véhicule utilitaire). "C’est un poste de coût important dont la gestion mérite d’être professionnalisée", affirme-t-il.
Une tendance que partage Dimo Software, éditeur de logiciels de gestion, qui a lancé il y a quatre ans, sa plateforme de gestion de fl ottes et de mobility management "Notilus Yourway". Comme l’explique Gilles Bobichon, directeur de Notilus, "nous avons enregistré une croissance de 300 % l’an passé sur cette activité. Passés les effets de la crise sanitaire, les entreprises ont massivement abandonné leur outil de gestion traditionnel tel que les fichiers Excel pour recourir à la digitalisation et à l’intelligence artificielle permettant notamment de fluidifier la communication et l’interaction entre les différents services impliqués dans la gestion de flotte tels que le Travel manager, les RH, DAF et gestionnaires de parc".
Cette situation est amplifiée par la crise sanitaire, signale-t-on chez Fatec, également prestataire de gestion de parc, lequel gère les 95 000 véhicules de ses 160 clients. "Les entreprises affrontent une situation économique qui les conduit à réduire la taille de leur parc de 5 à 10 % ou à mener une restructuration pour accompagner la transition vers les véhicules électriques", explique Théophane Courau, président de Fatec.
Dans ce domaine de la gestion de parc, ASK surfe aussi sur les nouveaux besoins d’organisation réclamés par les flottes en terme de transition énergétique. Cette jeune pousse aixoise vient de passer le cap du millier de véhicules gérés, un an après sa création. "Nous visons les entreprises qui n’ont pas de gestionnaire de parc et celles où ces missions sont rattachées à une autre fonction – DAF, DRH, RSE", explique Fabien Dieu, directeur général de ASK. "C’est dans ces entreprises que la gestion de la mobilité devient rapidement une tâche chronophage. En interne, la plupart n’ont ni le temps ni les moyens de s’engager dans la recherche de gains de productivité et d’optimisation du TCO de leur flotte". Nul doute désormais que la gestion de parc évolue au rythme de l’introduction des voitures électriques dans les flottes.
Jean-Pierre Lagarde