Ch. Goemaere (Comité Champagne) : "Plus le marché du Champagne est développé, plus le risque de contrefaçon est fort"
Décideurs. Quelles sont les grandes missions du Comité Champagne que vous dirigez depuis le 1er février dernier ?
Charles Goemaere. Notre mission première est de défendre les intérêts collectifs des vignerons et des maisons de champagne soit plus de 21 000 récoltants de raisin, élaborateurs de vin et metteurs en marché, qui partagent un destin commun, celui de créer de la valeur autour d'un élement de partimoine collectif commun, celui de l’Appellation d’origine contrôlée Champagne.
La défense de ces intérêts communs passe par trois missions principales : la première, technique, consiste à améliorer la qualité intrinsèque du produit et celle perçue par le consommateur. Viennent ensuite la régulation économique de l’offre et celle de protection et de valorisation de l’AOC .
En 2006, le Comité Champagne a signé une convention de coopération avec l’INPI. Quels en étaient les objectifs ?
Cette convention a été conclue dans un double objectif : participer à la protection de l’appellation champagne à l’étranger en accompagnant l’INPI dans les missions de sensibilisation sur les problématiques de protection de cette appellation à l’étranger et proposer à nos membres une porte d’entrée vers le monde de la propriété intellectuelle, car s’ils partagent un droit de PI en matière d’ appellation d’origine, ils disposent aussi de leurs propres droits de PI avec leurs marques, dessins et modèles.
Une permanence mensuelle a également été créée. Ainsi nos professionnels peuvent poser leurs questions directement à des experts de l’INPI. Ce service permet par ailleurs de participer aux commissions mixtes avec l’INPI et les grands offices de propriété intellectuelle à l’étranger de façon à faire remonter des problématiques particulières liées à la protection des indications géographiques à travers le monde.
Quelles sont les principales problématiques en la matière ? Et quelles sont les missions du Comité Champagne ?
Nos activités sont de deux ordres. La priorité est de lutter contre la contrefaçon. Rappelons qu’un contrefacteur est un entrepreneur presque comme les autres. Son objectif consiste à maximiser ses profits en minimisant ses risques. Donc plus un signe de propriété intellectuelle est réputé, plus il y a de valeur ajoutée sur le produit et plus le risque de contrefaçon sera fort, à la condition que le produit soit moins bien protégé que le concurrent.
"Rappelons qu’un contrefacteur est un entrepreneur presque comme les autres. Son objectif consiste à maximiser ses profits en minimisant ses risques"
C’est la raison pour laquelle notre mission de sensibilisation auprès des administrations chargées des contrôles en France, dans l’UE et à l’international, en vue d’améliorer leur degré de conscience sur ces problématiques de contrefaçon, est capitale.
Quel est le poids du marché de la contrefaçon de champagne dans le monde ?
C’est difficile à dire avec précision. Une chose est certaine : plus le marché du champagne est développé dans un pays donné avec de nombreuses références, plus il sera facile pour un contrefacteur de pénétrer ce marché. À l’inverse, dans un marché très structuré comme le Vietnam par exemple, où une demi-douzaine de marques circule via des réseaux de distribution très bien identifiés, il sera très difficile pour un contrefacteur de passer inaperçu.
Comment contrôlez-vous ce qu’il se passe dans les différents pays du monde ?
Nous composons avec deux types de relais. D’abord avec des bureaux partout dans le monde, des "Ambassades du champagne à l’étranger" en quelque sorte, présents sur nos dix principaux marchés. Leurs missions ? Celles de représentation, d’intelligence économique et de protection en travaillant au côté de nos avocats à l’identification des atteintes portées à l'AOC mais aussi en les aidant à sensibiliser les administrations sur toutes ces questions. Le second est notre réseau d’avocats, très dense, avec 80 cabinets répartis dans le monde, dont certains avec lesquels nous travaillons depuis fort longtemps. Il s’agit exclusivement ou majoritairement de cabinets IP et nous privilégions les relations long terme en raison de la spécificité du concept d’Appellation d’origine contrôlée.
Quelle zone dans le monde est particulièrement touchée par ces problématiques de contrefaçon sur ce produit ?
L’Europe continentale est traditionnellement la zone où l’on trouve le plus grand nombre de contrefaçons.
Combien d’affaires de contrefaçon sont traitées en moyenne chaque année ?
Nous traitons en moyenne une dizaine de dossiers de contrefaçon d’envergure à travers le monde sur près de 1000 dossiers chaque année. Et, en permanence, avec la même périodicité, pas moins de 250 procédures administratives, civiles ou pénales sont en cours.
Au-delà de la contrefaçon, quelles sont les autres atteintes portées contre l’AOC Champagne ?
De nombreux dossiers sont liés au détournement de notoriété, à des utilisations abusives du terme champagne ou de dénominations approchantes qui détourneraient ou affaibliraient la notoriété de l’appellation. Le 5 mars 1984, le tribunal de grande instance de Paris a donné tort à la Seita qui avait lancé des cigarettes baptisées « Champagne » et déposé les marques « Champagne meilleur cru de Virginie » et « Champagne prestige et tradition », et ainsi donné lieu à la première jurisprudence de « détournement de la notoriété d’une appellation d’origine ». Ensuite, la loi du 2 juillet 1990 a étendu le champ de protection des appellations d’origine en France et, en 1991, leTGI puis la cour d’appel de Paris ont mis en application cette réglementation dans la fameuse affaire Yves Saint-Laurent. Par la suite, nous avons œuvré à faire en sorte d’obtenir ce même niveau de protection partout dans le monde.
En 2021, l’appellation champagne est-elle selon vous suffisamment bien protégée ? Qu’en est-il de la sensibilité des Champenois aux enjeux de la PI ?
La protection théorique est satisfaisante car les appellations d’origine et l’AOC Champagne en particulier sont protégées dans la plupart des pays du monde. Nous disposons ainsi d’un titre de propriété intellectuelle pour protéger l’AOC Champagne dans 123 pays, ce qui n’empêche pas les litiges car nous en avons dans une centaine de pays actuellement. Le niveau de problème est en lien avec la notoriété de l’appellation ! Côté sensibilisation, les Champenois ont conscience depuis très longtemps de la nécessité de protéger leur patrimoine commun. Preuve en est de la première décision de protection du mot Champagne qui date de 1843, à une période où ni le droit des appellations d’origine ni le droit des marques n’existait.
Propos recueillis par Anne-Sophie David