Par Valéry Diaz-Martinat, of counsel, et Mathieu Taupin, senior associate. Eversheds LLP
L’actionnaire, coupable idéal des défaillances d’entreprises en temps de crise??
La crise. Vrai ou faux motif des défaillances d’entreprises, elle est surtout la raison de cette recherche effrénée du « coupable » capable de payer à la procédure une partie du passif de la société en liquidation judiciaire. L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 2 octobre 2012 en est une nouvelle illustration.
L’écran de la personnalité morale a de tout temps constitué la sécurité juridique nécessaire à la bonne marche des affaires. De la venditio bonorum à l’adoption de l’article L.651-2 du Code de commerce, en passant par le « banc des faillis », le droit commercial a cependant dû mettre en musique à la fois la volonté de promouvoir le commerce et celle d’en exclure celui qui ne paye pas ses créanciers. Dans un contexte général de crise et de recherche de « coupable-payeur » de la défaillance des entreprises, l’arrêt de la Cour de cassation du 2 octobre 2012, rendu sur renvoi après cassation (1), vient porter une nouvelle atteinte à la théorie de l’écran de la personnalité morale, protection traditionnelle des actionnaires.
Un arrêt qui s’inscrit dans une continuité…
Pour remédier à des maux bien spécifiques, le droit positif a depuis longtemps cherché les moyens de percer l’écran de la personnalité morale, par exemple en matière de risques environnementaux ou de dettes fiscales. De son côté, le droit des entreprises en difficulté n’a eu de cesse de trouver des solutions pour permettre de désintéresser les créanciers (comblement de passif, action en soutien abusif, confusion de patrimoines…) et de dégager un régime de responsabilité pécuniaire des dirigeants sur le fondement de l’article L.651-2 du Code de commerce, permettant d’obtenir une sanction financière dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire. Mais la mise en œuvre de cette action à l’encontre d’un associé nécessite que le demandeur apporte la preuve d’un acte positif de gestion pour pouvoir qualifier l’associé de dirigeant de fait. Le liquidateur doit dès lors démontrer que l’associé a exercé, directement ou par personne interposée, une activité indépendante d’administration générale de la société, sous couvert et au lieu et place de ses représentants légaux (2). La volonté de sanctionner un actionnaire en qualité de dirigeant de fait sur le fondement de l’article L.651-2 du Code de commerce est ainsi freinée par un mécanisme particulièrement rigide se traduisant par la nécessité de rapporter une double preuve. Pour cantonner cette rigidité et au nom du superprivilège des salariés, les juridictions sociales ont peu à peu instauré un régime de responsabilité parallèle en consacrant la notion de co-emploi, consistant à considérer une société mère comme le co-employeur des salariés de sa fille et, de ce fait, mettre à sa charge les coûts de licenciement. Les critères de qualification du co-emploi, auparavant limités à la preuve du lien de subordination existant entre l’employeur et son salarié, ont par ailleurs récemment évolué pour se rapprocher étrangement de la notion de gestion de fait propre au droit des sociétés : les juridictions estiment aujourd’hui qu’une situation de co-emploi est caractérisée, dès lors qu’une triple confusion d’intérêts, d’activité et de direction (3) est avérée (4). Ainsi, cette création purement prétorienne est venue accroître les craintes des actionnaires de voir leur responsabilité financière engagée dans le cadre des cessions d’entreprises comme des fermetures de site.
… mais qui ouvre une boîte de Pandore
Dans ce contexte est intervenu l’arrêt du 2 octobre 2012. En l’espèce, après l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire d’une société de transports, le liquidateur a intenté une action en responsabilité à l’encontre de l’associé notamment du fait de la conclusion d’une convention de coopération avec une société dans laquelle il était également associé majoritaire. Aux dires de l’expert désigné dans cette procédure, cet acte a retardé le dépôt de la déclaration de cessation des paiements puisqu’il a « permis de faire face à des difficultés de trésorerie à court terme mais nullement d’améliorer la rentabilité de l’entreprise et de la redresser ». C’est ainsi qu’à titre principal, le liquidateur a voulu faire qualifier l’associé de dirigeant de fait afin que ce dernier soit condamné à payer l’insuffisance d’actif. Plus surprenant, à titre subsidiaire, le liquidateur sollicitait sa condamnation pour faute sur le fondement de 1382 du Code civil. Or, précisément, la qualité de dirigeant n’a jamais pu être reconnue à l’associé unique dans les faits soumis à l’analyse des magistrats. Restait à déterminer si l’action de droit commun initiée à son encontre était recevable, lors même qu’elle était un moyen subsidiaire à l’action pour insuffisance d’actif.
Alors que les juges du fond se sont partagés sur la réponse à cette question, la Cour de cassation a réaffirmé en 2012 sa position exprimée dès 2008 lorsqu’elle cassait le premier arrêt d’appel : il semble désormais possible d’obtenir une condamnation de l’actionnaire en raison d’un acte fautif ayant contribué à l’aggravation du passif et au seul visa de l’article 1382 du Code civil, lorsque les conditions de l’action pour insuffisance d’actif invoquée à titre principal ne sont pas réunies ! Le financement du passif de la société en liquidation judiciaire se dote ainsi d’une nouvelle arme efficace, inquiétante pour l’actionnaire mais relativement peu surprenante compte tenu du contexte de crise et de l’évolution récente de la jurisprudence en matière de responsabilité des dirigeants et des actionnaires. En outre, cet arrêt a indéniablement ouvert une boîte de Pandore : est-on en présence d’un régime de responsabilité autonome de l’associé, sans aucun lien avec les conditions prévalant à la mise en jeu de sa responsabilité pour insuffisance d’actif ? Il est permis d’en douter même si l’arrêt semble ouvrir le champ de la discussion, dans la mesure où, en l’espèce, le fondement de l’article L.651-2 du Code de commerce était bien invoqué par le liquidateur à titre principal. Il faudra donc attendre a minima la position de la cour d’appel de renvoi avant de conclure, le cas échéant, à l’autonomie de ce nouveau champ de responsabilité. Toutefois, dans cette attente, la prudence doit être de mise. L’orientation donnée par cet arrêt faisant peser une épée de Damoclès sur les décisions de l’associé : soutien sous forme de prêts ou d’avances non remboursables, distributions de dividendes, remontée de management fees… toute option devra dorénavant être soigneusement mesurée et économiquement justifiée. Il appartiendra aux praticiens chargés de protéger les actionnaires de faire preuve d’innovation pour éviter que ce fameux écran de la personnalité morale ne disparaisse en un simple écran de fumée…
1 Cass.com.,2 oct.2012, n° 11-18460
2 Cass. com 26 juin 2001 n°98-20.115
3 Cass. Soc. 18.01.2011
4 Cass. soc. 22.06.2011
L’écran de la personnalité morale a de tout temps constitué la sécurité juridique nécessaire à la bonne marche des affaires. De la venditio bonorum à l’adoption de l’article L.651-2 du Code de commerce, en passant par le « banc des faillis », le droit commercial a cependant dû mettre en musique à la fois la volonté de promouvoir le commerce et celle d’en exclure celui qui ne paye pas ses créanciers. Dans un contexte général de crise et de recherche de « coupable-payeur » de la défaillance des entreprises, l’arrêt de la Cour de cassation du 2 octobre 2012, rendu sur renvoi après cassation (1), vient porter une nouvelle atteinte à la théorie de l’écran de la personnalité morale, protection traditionnelle des actionnaires.
Un arrêt qui s’inscrit dans une continuité…
Pour remédier à des maux bien spécifiques, le droit positif a depuis longtemps cherché les moyens de percer l’écran de la personnalité morale, par exemple en matière de risques environnementaux ou de dettes fiscales. De son côté, le droit des entreprises en difficulté n’a eu de cesse de trouver des solutions pour permettre de désintéresser les créanciers (comblement de passif, action en soutien abusif, confusion de patrimoines…) et de dégager un régime de responsabilité pécuniaire des dirigeants sur le fondement de l’article L.651-2 du Code de commerce, permettant d’obtenir une sanction financière dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire. Mais la mise en œuvre de cette action à l’encontre d’un associé nécessite que le demandeur apporte la preuve d’un acte positif de gestion pour pouvoir qualifier l’associé de dirigeant de fait. Le liquidateur doit dès lors démontrer que l’associé a exercé, directement ou par personne interposée, une activité indépendante d’administration générale de la société, sous couvert et au lieu et place de ses représentants légaux (2). La volonté de sanctionner un actionnaire en qualité de dirigeant de fait sur le fondement de l’article L.651-2 du Code de commerce est ainsi freinée par un mécanisme particulièrement rigide se traduisant par la nécessité de rapporter une double preuve. Pour cantonner cette rigidité et au nom du superprivilège des salariés, les juridictions sociales ont peu à peu instauré un régime de responsabilité parallèle en consacrant la notion de co-emploi, consistant à considérer une société mère comme le co-employeur des salariés de sa fille et, de ce fait, mettre à sa charge les coûts de licenciement. Les critères de qualification du co-emploi, auparavant limités à la preuve du lien de subordination existant entre l’employeur et son salarié, ont par ailleurs récemment évolué pour se rapprocher étrangement de la notion de gestion de fait propre au droit des sociétés : les juridictions estiment aujourd’hui qu’une situation de co-emploi est caractérisée, dès lors qu’une triple confusion d’intérêts, d’activité et de direction (3) est avérée (4). Ainsi, cette création purement prétorienne est venue accroître les craintes des actionnaires de voir leur responsabilité financière engagée dans le cadre des cessions d’entreprises comme des fermetures de site.
… mais qui ouvre une boîte de Pandore
Dans ce contexte est intervenu l’arrêt du 2 octobre 2012. En l’espèce, après l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire d’une société de transports, le liquidateur a intenté une action en responsabilité à l’encontre de l’associé notamment du fait de la conclusion d’une convention de coopération avec une société dans laquelle il était également associé majoritaire. Aux dires de l’expert désigné dans cette procédure, cet acte a retardé le dépôt de la déclaration de cessation des paiements puisqu’il a « permis de faire face à des difficultés de trésorerie à court terme mais nullement d’améliorer la rentabilité de l’entreprise et de la redresser ». C’est ainsi qu’à titre principal, le liquidateur a voulu faire qualifier l’associé de dirigeant de fait afin que ce dernier soit condamné à payer l’insuffisance d’actif. Plus surprenant, à titre subsidiaire, le liquidateur sollicitait sa condamnation pour faute sur le fondement de 1382 du Code civil. Or, précisément, la qualité de dirigeant n’a jamais pu être reconnue à l’associé unique dans les faits soumis à l’analyse des magistrats. Restait à déterminer si l’action de droit commun initiée à son encontre était recevable, lors même qu’elle était un moyen subsidiaire à l’action pour insuffisance d’actif.
Alors que les juges du fond se sont partagés sur la réponse à cette question, la Cour de cassation a réaffirmé en 2012 sa position exprimée dès 2008 lorsqu’elle cassait le premier arrêt d’appel : il semble désormais possible d’obtenir une condamnation de l’actionnaire en raison d’un acte fautif ayant contribué à l’aggravation du passif et au seul visa de l’article 1382 du Code civil, lorsque les conditions de l’action pour insuffisance d’actif invoquée à titre principal ne sont pas réunies ! Le financement du passif de la société en liquidation judiciaire se dote ainsi d’une nouvelle arme efficace, inquiétante pour l’actionnaire mais relativement peu surprenante compte tenu du contexte de crise et de l’évolution récente de la jurisprudence en matière de responsabilité des dirigeants et des actionnaires. En outre, cet arrêt a indéniablement ouvert une boîte de Pandore : est-on en présence d’un régime de responsabilité autonome de l’associé, sans aucun lien avec les conditions prévalant à la mise en jeu de sa responsabilité pour insuffisance d’actif ? Il est permis d’en douter même si l’arrêt semble ouvrir le champ de la discussion, dans la mesure où, en l’espèce, le fondement de l’article L.651-2 du Code de commerce était bien invoqué par le liquidateur à titre principal. Il faudra donc attendre a minima la position de la cour d’appel de renvoi avant de conclure, le cas échéant, à l’autonomie de ce nouveau champ de responsabilité. Toutefois, dans cette attente, la prudence doit être de mise. L’orientation donnée par cet arrêt faisant peser une épée de Damoclès sur les décisions de l’associé : soutien sous forme de prêts ou d’avances non remboursables, distributions de dividendes, remontée de management fees… toute option devra dorénavant être soigneusement mesurée et économiquement justifiée. Il appartiendra aux praticiens chargés de protéger les actionnaires de faire preuve d’innovation pour éviter que ce fameux écran de la personnalité morale ne disparaisse en un simple écran de fumée…
1 Cass.com.,2 oct.2012, n° 11-18460
2 Cass. com 26 juin 2001 n°98-20.115
3 Cass. Soc. 18.01.2011
4 Cass. soc. 22.06.2011