"Pour décider, il faut du nez et du courage. Le reste est de second ordre"
Xavier Fontanet* a rejoint Essilor en 1991 avant de devenir son président en 1996. Une longévité qu’il juge essentielle pour former de bonnes équipes synonymes des bonnes décisions.
Décideurs. Dans votre carrière, quelles sont les décisions clés que vous retenez ?
Xavier Fontanet. Sans aucune hésitation, le choix des personnes avec lesquelles vous décidez de faire un bout de chemin ; c’est valable autant pour les personnes qui vous embauchent que pour celles que vous embauchez. Je préfère cent fois être sur un terrain difficile avec des gens bien, que sur un terrain facile avec des gens moyens.
Décideurs. Éducation ou intuition : qu’est-ce qui fait la différence lors d’une prise de décision ?
X.?F. L’éducation est très importante, mais j’ai appris à ne pas confondre éducation et intelligence. L’éducation s’achète puisqu’il y a un prix de marché à la sortie de l’école. Mais le vrai talent ne s’achète pas, il se découvre et se forme dans l’action, il est infiniment plus rare et plus précieux. Le talent va même au-delà de l’intelligence puisqu’on trouve des tas de gens instruits et intelligents qui se trompent sur les points essentiels. Le talent, c’est l’intuition, le pif pour parler simplement, il y a un petit côté mystérieux dans le vrai talent. Éducation ou intuition ? Pour moi, le caractère est une dimension essentielle dans la décision. Il y a toujours un risque dans une véritable décision, un risque que l’analyse même la plus fine ne peut pas réduire : à un moment, il faut sauter. Dans les coups les plus géniaux, il y a toujours un saut dans l’inconnu. En ce sens, dès qu’une décision est rationnelle, elle ne crée pas de valeur puisque tout le monde peut faire le même raisonnement et arriver à la même conclusion. S’il fallait résumer en peu de mots, je dirais qu’au bout du bout, il faut du nez et du courage, le reste est de second ordre.
Décideurs. Comment rallier les équipes à son projet, sa décision ?
X.?F. La notion de «?rallier au projet?», je ne l’entends pas pour une raison très simple : l’essentiel est de concevoir le projet avec l’équipe. Évidemment, il faut une bonne équipe et ça, ce n’est ni simple de la construire ni simple de l’animer sur la durée. La durée est d’ailleurs une dimension incontournable : elle permet de créer le climat de confiance réciproque qui fait les grandes équipes, et sans elle, rien ne se fait ni ne se démontre.
Décideurs. L’actionnariat salarié est-il le levier sur lequel s’appuyer pour augmenter l’adhésion aux prises de décisions stratégiques ?
X.?F. L’actionnariat salarié est à mon avis essentiel ; il change le rapport entre le salarié et son entreprise, il l’aide à comprendre le risque, il le fait grandir. Dans le même temps, il pousse le management à bien communiquer avec l’ensemble des collaborateurs. Au final, l’actionnariat salarié crée de l’affectio societatis : quelle meilleure façon de faire adhérer les personnes que de s’assurer qu’ils ont participé à la décision ? C’est une des pistes à suivre suite à la crise que nous avons connue.
Décideurs. En France, la persuasion est au moins aussi importante que la décision elle-même. Quel style adopter pour préserver les intérêts de la société ?
X.?F. En France, on donne trop la parole à ceux qui parlent sans faire et pas assez à ceux qui font sans parler. Il y a toute une pléiade de spécialistes de la prise de parole que l’on retrouve partout, qui se renvoient la balle et qui monopolisent tous les débats. Sortir de cet état de fait n’est pas simple, tout simplement parce que ceux qui font ne sont pas amenés à parler : leur langage, ce sont leurs actes et ce qu’ils construisent. Comme ils sont en général dans des affaires qui marchent, ça n’intéresse pas, puisque l’on cherche avant tout à parler de ce qui ne va pas !
Sans parler du fait que les bâtisseurs se tournent en général vers l’international, sont constamment en voyage et n’ont pas de temps à consacrer à la prise de parole. C’est bien dommage parce qu’ils auraient énormément de choses à dire ; ils pourraient en particulier nous parler de ce qui se passe ailleurs et ouvrir nos débats franco-français. Cette majorité silencieuse et travailleuse, lui donnera-t-on un jour la parole ? J’en doute… mais je ne demande qu’à me tromper.
*Xavier Fontanet a publié en octobre?2010 Si on faisait confiance aux entrepreneurs - L’entreprise française et la mondialisation (aux éditions Les Belles Lettres), et tient un blog, www.sionfaisaitconfianceauxentrepreneurs.com
1. Le principal trait de mon caractère : lent mais régulier. Je dois probablement cela à mes ascendances bretonnes et savoyardes.
2. La qualité que je préfère chez un individu : un mélange d’honnêteté et de loyauté. Savoir regarder les choses comme elles sont, ne pas tricher avec elles ni d’ailleurs avec les personnes.
3. Mon principal défaut : je suis quelqu’un de trop optimiste. Je dois donc m’entourer de gens réalistes…
4. Mon idée du bonheur : que ceux qui gravitent autour de moi soient bien dans leur peau, progressent et soient heureux.
5. Mon héros de fiction : Maximus dans Gladiator.
6. Mes héros dans la vie réelle : Lee Kuan Yew (Premier ministre de Singapour de 1959 à 1990)
7. Ce que je déteste par-dessus tout : le baratin.
8. La réforme que j’estime le plus : la réforme de l’État faite en Nouvelle-Zélande par Roger Douglas il y a quinze/vingt ans, ce serait un modèle pour nous.