Thibaut Guilluy a été nommé le 1er janvier 2024 directeur général de France Travail, ex-Pôle emploi. Ses objectifs sont multiples : plein emploi, insertion professionnelle, place des seniors dans le monde du travail. Entretien avec l’architecte du nouveau service public de l’emploi.

Décideurs. Le taux de chômage actuel est de 7,5 % de la population active. La loi pour le plein emploi vise à atteindre un taux de chômage d'environ 5 % en 2027. En quoi la nouvelle organisation de France Travail peut-elle contribuer à atteindre cet objectif ?

Thibaut Guilluy. Actuellement, le chiffre de 7,5 % ne rend pas nécessairement compte de la réalité du niveau d’emploi. Il est plus pertinent de considérer le taux d’emploi, qui est passé de 64 à 69 % grâce à la création de deux millions de postes au cours des six dernières années. France Travail, en tant que service public de l’emploi, dispose de trois principaux leviers pour faire progresser ce pourcentage d’actifs.

Tout d’abord, les emplois non pourvus représentent une proportion significative, estimée entre 300 000 et 350 000 postes environ. Par exemple, lors d’une visite à Compiègne, dans l’Oise, j’ai rencontré un industriel ayant des difficultés à trouver des fraiseurs possédant des compétences spécifiques. France Travail propose deux solutions pour y remédier : repérer des candidats potentiels grâce à des tests identifiant les compétences et aptitudes attendues, et financer intégralement une formation à l’embauche de 400 heures maximum, pour les profils ayant le potentiel mais nécessitant un renforcement de compétences. C’est ce genre de dispositifs qui aide finalement les entreprises à identifier les potentiels et à fabriquer la compétence, permettant ainsi aux employeurs de recruter alors qu’ils auraient pu renoncer. Des emplois sont donc créés. France Travail vise ainsi à combler le fossé entre l’offre et la demande sur le marché du travail en favorisant l’insertion de tous.

Puis, nous agissons sur les délais de recrutement. Les actions menées cette année ont permis de réduire ce délai. Nous sommes passés de vingt-neuf à vingt-six jours au cours des trois dernières années. Si nous parvenons à atteindre vingt jours, cela créera là aussi mécaniquement du travail.

Enfin, nous nous concentrons sur la prospection des entreprises. Actuellement, sept projets de recrutement sur dix concernent les petites entreprises, PME et TPE. Cependant, ces dernières sont sous-représentées parmi nos utilisateurs, alors qu’elles rencontrent les plus grandes difficultés de recrutement et n’ont pas de service RH. Notre objectif est d'améliorer nos services pour ces entreprises, d’autant plus que celles qui y ont recours en sont satisfaites à plus de 86 %. Nous devons aller davantage vers elles. Quand on prospecte 100 sociétés, on crée sept emplois supplémentaires qui n’auraient pas été créés sans cette prospection. France Travail a donc vocation à devenir le partenaire RH privilégié des employeurs, le lieu également où les opportunités d’embauche sont maximisées pour tous les profils, tout en tenant compte de leur diversité.

Bien que cela soit plus difficilement mesurable, il existe également une composante psychologique liée à la création d’emploi, qui est aussi une affaire de confiance dans l’avenir. J’ai été moi-même chef d’entreprise, et je sais qu’entendre chaque jour qu’il est difficile de recruter ou que c’est risqué peut réduire la volonté des dirigeants à le faire. Les talents existent partout et il s’agit de savoir mieux les identifier hors des processus traditionnels, en s’affranchissant du CV par exemple. Chez France Travail, nous multiplions les actions de recrutement innovantes, à travers l’immersion professionnelle qui permet d’accueillir – pendant un jour, une semaine, un mois – un candidat auquel l’entreprise n’aurait pas nécessairement pensé, mais aussi avec la méthode de recrutement par simulation, les job datings inversés, les entreprises éphémères, les stades vers l’emploi… J’invite les entreprises à se rendre sur notre site ou en agence afin de découvrir nos solutions pour faciliter leurs recrutements.

"J'ai été moi-même chef d’entreprise, et je sais qu’entendre chaque jour qu’il est difficile de recruter ou que c’est risqué peut réduire la volonté des dirigeants à le faire "

Lors de votre intervention sur France Inter, vous avez évoqué un “choc de l'insertion” pour les allocataires du RSA. Selon la Cour des comptes, sept ans après leur entrée au RSA, 42 % des personnes y sont encore et seul un tiers a retrouvé un emploi. Concrètement, comment France Travail peut-elle changer la donne et allouer davantage de moyens à l’accompagnement des allocataires du RSA ?

Pendant quarante ans, l’idée de réinsérer ces personnes avait été largement abandonnée. France Travail affirme que la meilleure manière de lutter contre le chômage est de favoriser le retour à l’emploi le plus rapidement et dans les meilleures conditions possibles. C’est le sens du contrat d’engagement réciproque, qui implique assiduité et mobilisation quotidienne des demandeurs d’emploi et un accompagnement plus personnalisé et plus intensif de la part du service public de l'emploi. Le choc doit venir à la fois de l'individu, qui doit se sentir réinvesti dans sa recherche de travail, et de la société, qui doit être plus inclusive. C’est la logique des quinze heures minimum requises par la réforme du RSA. Elle est actuellement testée dans dix-huit départements. Même s'il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives, les premiers résultats sont éloquents : auparavant, le délai entre l'inscription et le premier contact avec un conseiller était de cinq mois en moyenne, maintenant il est de moins de quinze jours dans 100 % des cas. Et parmi les premiers bénéficiaires de ces expérimentations, près de 50 % des inscrits retrouvent un emploi six mois après leur inscription.

Il n’y a donc pas de fatalité. Mon expérience personnelle, durant laquelle j'ai longuement accompagné des personnes très éloignées de l’emploi, m'a confirmé que personne n'est inemployable. C’est ce que nous défendons à France Travail.

Un autre sujet important en France concerne l’emploi des seniors. Comment France Travail envisage-t-elle cette problématique ?

Il s'agit d’un véritable défi pour le pays : le taux d’emploi des plus de 60 ans est de 38 %, et les seniors restent au chômage deux fois plus longtemps que la moyenne. Il faut être attentifs aussi bien à l’accompagnement des personnes qu’à la mobilisation des entreprises. L’emploi des seniors est une priorité pour la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, comme elle me l’a rappelé dès notre premier échange. Le terme “seniors” révèle des réalités et des parcours divers. Cette population nécessite un accompagnement adapté, tenant compte de l’expérience des seniors, de leurs besoins de reconversion ou de reskilling. Il faut travailler aussi l’offre de formation pour qu’elle soit plus adaptée : on n’apprend pas de la même manière à 50 ans qu’à 20 ans. Nous devons travailler aussi avec les entreprises qui doivent dépasser les stéréotypes et aller au-delà du simple CV pour recruter de manière plus juste et efficace. France Travail met à leur disposition une variété de dispositifs pour éviter les biais discriminatoires : la méthode de recrutement par simulation ou l’immersion professionnelle, que j’évoquais tout à l’heure. Il est nécessaire de favoriser toutes les initiatives locales. Ainsi, à l’instigation d’Olivier Candelier, adjoint au maire de Tourcoing, nous avons mis en place le programme PEPS, aux côtés de la municipalité et des entreprises du territoire. Il permet chaque année de rebooster et de donner du travail à de très nombreux chercheurs d’emploi de plus de 50 ans. Et ça marche ! C’est pourquoi nous regardons comment nous pourrions l’essaimer sur le territoire national.

Là non plus il n’y a pas de fatalité. Aucun senior n’est inemployable. Il suffit parfois de changer de regard !

 Propos recueillis par Elsa Guérin

 Crédit photo Ministères sociaux DICOM / Tristan Reynaud

 

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