Cela fait dix ans que des députés représentent les Français vivant à l’étranger. Voyages incessants, relations avec les électeurs, travail dans l’hémicycle… Zoom sur le quotidien de ces élus presque comme les autres.

Ils sont onze, autant qu’une équipe de football. Mais ils occupent tous le même poste. "Ils" ? Les députés des Français de l'étranger, fonction qui existe depuis les élections législatives de 2012 et qui permet de représenter 1,7 million de personnes réparties sur tous les continents. Onze députés pour 195 États reconnus par l’ONU, soit une moyenne de 17 pays par élu.

Des circonscriptions étendues

Certains couvrent une zone géographique relativement "petite" et proche du Palais-Bourbon, c’est notamment le cas de la quatrième circonscription qui correspond au Benelux ou de la sixième qui englobe la Suisse et le Liechtenstein. D’autres ont la délicate mission de représenter des Français répartis sur un territoire bien plus large.

Parmi ces grands voyageurs, Amélia Lakrafi députée Renaissance de la dixième circonscription depuis 2017 : "Mon poste me permet de voyager", sourit-elle. Et pour cause, sa terre de mission comporte 49 pays comprenant le Moyen-Orient et la majeure partie du continent africain, "soit 150 000 personnes enregistrées pour une population totale estimée à 300 000 habitants". Une communauté très hétérogène qui, selon l’élue, intègre "des cadres expatriés à Dubaï, des Libanais binationaux, des descendants de tirailleurs malgaches vivant sous le seuil de la pauvreté, des retraités aisés implantés aux Seychelles et à l’Ile Maurice, des expatriés basés en Afrique du Sud, au Togo ou encore au Bénin…".

La situation est la même pour Éléonore Caroit, nouvelle députée Renaissance de la deuxième circonscription, celle des Français d’Amérique centrale, d’Amérique du Sud et des Caraïbes. Deux tiers des électeurs sont, selon elle, "des binationaux qui, pour certains, connaissent peu la métropole mais ressentent un vrai besoin de France".

Le défi de la proximité

Élus de la nation et représentants de leur territoire, les députés passent traditionnellement leur semaine entre Assemblée nationale et circonscription où ils s’attachent à cultiver une relation de proximité. Mais comment faire lorsque l’on est député des Français de l’étranger ? On s’adapte, notamment grâce à la technologie.

Heureusement, les députés peuvent compter sur Zoom ou Whatsapp

Ainsi, Amélia Lakrafi organise chaque vendredi une visioconférence au cours de laquelle elle consacre une vingtaine de minutes à chaque inscrit. Une méthode plébiscitée par Éléonore Caroit : "Je propose des permanences parlementaires sur Zoom deux fois par mois et une réunion publique une fois par mois sur des sujets généraux tels que le rappel de l’activité parlementaire". Stéphane Vojetta, député des Français de la péninsule ibérique et de Monaco se targue pour sa part d’être joignable sur Whatsapp facilement pour qui en a besoin. De quoi incarner la proximité et braver, avec succès, les consignes de son camp, qui avait tenté de parachuter Manuel Valls à sa place…

Autre atout numérique pour ces députés globe-trotter : "Le ministère des Affaires étrangères nous donne chaque année le courriel des Français enregistrés dans nos circonscriptions, ce qui nous permet de nous adresser directement à eux". Évidemment, le ministère impose la signature d’une décharge qui suppose d’utiliser cette liste de diffusion uniquement dans le cadre du mandat.

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Eléonore Caroit et Amélia Lakrafi sont respectivement élues en Amérique centrale, Amérique du sud, Caraibes pour l'une, Moyen-Orient et large partie de l'Afrique pour l'autre.

Présence sur le terrain

Si le digital permet d’abolir les distances, une présence sur le terrain est indispensable. Depuis cinq ans, Amélia Lakrafi fonctionne de la manière suivante : trois semaines à Paris, une semaine en circonscription où elle visite entre deux et trois pays et tient une permanence parlementaire dans les ambassades ou les consulats. Résultat, durant son premier mandat, elle aura visité presque tous les pays de son périmètre, sauf Maurice, les Seychelles et ceux classés dangereux : Érythrée, Sud Soudan, Syrie et Yémen. Novice dans l’hémicycle, Éléonore Caroit compte organiser son emploi du temps sur le même rythme que sa collègue et a l’intention de ne pas se contenter des capitales en se rendant dans les villes moyennes. En plus de deux collaborateurs à plein temps à Paris, elle a embauché trois mi-temps : "L’un au Mexique, l’autre en Amérique du Sud, le troisième dans les Caraïbes". Sur le terrain, Amélia Lakrafi se repose essentiellement sur son suppléant, basé à Beyrouth, et qui travaille à mi-temps : "22 000 Français vivent au Liban et parmi les 27 000 implantés aux Émirats arabes unis, il y a aussi beaucoup de Libanais".

Le choix des dossiers

Au quotidien, les membres de ce club des onze se posent la même question : doivent-ils se spécialiser sur des sujets qui concernent leur zone géographique ? Doivent-ils être généralistes ? Chacun son choix. Ainsi, le député des Français d’Amérique du Nord Roland Lescure s’est spécialisé dans les questions économiques, a occupé le poste de président de la commission des Affaires économiques dans la précédente législature et est aujourd’hui ministre délégué chargé de l’Industrie. Amélia Lakrafi essaie de se positionner sur des "questions transverses telles que l’aide au développement ou le commerce extérieur". Mais celle qui, avant son entrée en politique, était dirigeante d’entreprise dans le domaine de la cybersécurité fait bénéficier la représentation nationale de son expertise et s’engage également sur des questions comme la violence faite aux femmes.

9 députés sur 11 appartiennent à la majorité présidentielle

Pour sa part, Éléonore Caroit fait le pari de se spécialiser "sur les sujets qui intéressent les Français de ma circonscription. Je compte notamment faciliter la vie des expatriés qui est bien souvent emplie d’obstacles administratifs". Avocate en arbitrage international de formation, elle a choisi de siéger à la commission des Affaires étrangères et est rapporteur général du traité du Quirinal, un partenariat stratégique entre la France et l’Italie.

Une amicale de députés

Soumis à des contraintes et des conditions de travail différentes de leurs collègues, les Français de l’étranger forment un petit groupe uni. Une union favorisée par une certaine proximité politique puisque, dans l’actuelle législature, neuf élus sur onze appartiennent à la majorité présidentielle. Les seules exceptions étant Meyer Habib député UDI des Français d’Israël, Turquie, Italie, Malte, Chypre et Grèce et Karim Ben Cheïkh, député du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest qui siège dans le groupe EELV. « Avec les neuf députés du groupe Renaissance, nous avons lancé une boucle Telegram pour partager notre quotidien, épauler les nouveaux, se serrer les coudes », explique Amélia Lakrafi. La boucle est visiblement animée. En plus d’idées politiques communes, ces députés pas comme les autres partagent le goût des aéroports et du décalage horaire.

Lucas Jakubowicz

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