À l’occasion de la soirée caritative Urgence Ukraine et Démocratie au bénéfice de l’ONU-Haut-Commissariat aux Réfugiés, de Reporters sans frontières et du Groupe SOS, organisée par Leaders League le 28 mars, Antoine Arjakovsky, historien et co-directeur du département de recherches Politiques et Religions du Collège des Bernardins, s’exprime sur l’importance du rôle de l’Europe et des États au sein du conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine.

Décideurs. Vous avez rédigé un rapport qui recense les dix propositions pour la paix entre l’Ukraine et la Russie, pouvez-vous nous en parler ?

Antoine Arjakovsky. Lorsque l’annexion de la Crimée s’est produite en mars 2014, j’ai eu envie d’écrire sur le conflit entre l’Ukraine et la Russie. J’ai longtemps expliqué que ces pays faisaient face à une guerre ayant des causes profondes, seulement personne n’a réagi, au point même que le Président Emmanuel Macron a sorti un projet de reset avec la Russie en 2018. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il fallait que j’aille un peu plus loin en créant une commission de dialogue « Vérité, justice et réconciliation » entre la Russie et l’Ukraine car je comprenais que les diplomaties de la France et de l’Europe n’étaient pas en mesure de traiter le grand problème des accords de Minsk. En partenariat avec des ONG et des forums, nous avons réussi à réunir plus de 200 intellectuels, journalistes, diplomates et religieux afin d’établir quatre causes principales de cette guerre, que sont les causes géopolitiques, historiographiques, de philosophies politiques et les causes religieuses.

"Alors que nous avions fait les bonnes analyses et apporté les bonnes solutions, le conflit s’est aggravé"

Chacun de ces principaux problèmes opposant les deux nations ont été abordés lors de sessions organisées afin d’aboutir à des textes de convergences amenant des propositions concrètes, réunies dans un rapport publié en novembre 2019. Ce rapport compile nos dix grandes propositions, cependant, il n’a pas été entendu à sa juste valeur au niveau de l’État. Aujourd’hui, je suis assez triste de voir qu’alors que nous avions fait les bonnes analyses et apporté les bonnes solutions, le conflit s’est aggravé. À l’heure où nous parlons, ce sujet reste entier et il faut résoudre ces quatre causes identifiées. Malheureusement, les événements récents n’ont fait que confirmer notre diagnostic.

Dans quelles mesures le conflit en Ukraine est-il aussi un conflit à l’échelle de l’Europe ?

Nous avons d’un côté une vision néo-impériale du monde selon Vladimir Poutine, en opposition au projet démocratique de l’Union européenne reposant sur une libre fédération d’États-nations indépendants. Les Ukrainiens sont favorables au principe de la démocratie. Volodymyr Zelensky s’est récemment adressé aux parlementaires français en affirmant : "Notre combat est le même, celui de défendre la liberté, l’égalité et la fraternité". L’Ukraine souhaite entrer dans l’Union européenne et attend l’aide de la France, qui n’a jusque-là pas tenu sa parole. Ce conflit n’est pas simplement entre la Russie et l’Ukraine, mais bien entre la Russie et le monde occidental. Ce contexte pourrait entraîner tout l’Occident vers un conflit mondial. Notre rapport proposait notamment d’intégrer l’Ukraine non seulement dans l’Otan, mais aussi au sein de l’Union européenne.

Quel message souhaiteriez-vous faire passer ?

Le message que je souhaiterais transmettre est que ces dernières années, l’Élysée et le Quai d’Orsay ont voulu se passer des experts. Or, ces experts travaillent sur le sujet depuis des années et ont des propositions concrètes pour sortir de la situation actuelle et reconstruire les relations internationales. C’est de l’intérêt des dirigeants politiques d’avoir l’humilité de le reconnaitre et de s’appuyer sur ces solutions car à eux-mêmes, ils ne peuvent pas réussir à vaincre le problème imposé par l’État russe, au même titre que les intellectuels reconnaissent que, seuls, ils ne pourront pas y arriver non plus. C’est une relation gagnant-gagnant qui permettra de lever le nez du guidon et prendre à bras-le-corps la gravité de ce conflit afin de le soigner en profondeur et reconstruire l’avenir.

Que représente pour vous votre participation à cet événement ?

C’est une évidence que nous devons être solidaires d’un pays meurtri par l’une des plus graves crises que l’Europe ait connues depuis 1939. C’est un devoir de citoyen. Il se trouve en plus qu’à titre personnel j’ai vécu très longtemps en Ukraine et j’aimerais que nous puissions enfin découvrir qui sont les Ukrainiens, prendre conscience que l’Ukraine se bat aujourd’hui non seulement pour son indépendance mais aussi pour les valeurs de l’Europe entière. C’est important de les soutenir.

Propos recueillis par Marine Fleury

 

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Cette soirée se déroulera le lundi 28 mars, au Pavillon d’Armenonville à Paris de 18H30 à 22h30.

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