Nul ne peut prédire le niveau exact de l’abstention. Mais plus elle est élevée, plus certains partis peuvent se réjouir, explique Pierre-Hadrien Bartoli, directeur des études politiques d’Harris Interactive.

Décideurs. Selon certains observateurs, le premier tour de la présidentielle pourrait se démarquer par un niveau d’abstention plus élevé que d’habitude. Quel est votre avis ?

Pierre-Hadrien Bartoli. L’abstention est l’élément le plus dur à mesurer pour une raison très simple. Beaucoup d’électeurs sont des "votants intermittents" qui décident de se rendre aux urnes ou pas dans les derniers jours de la campagne. Soulignons également que le fait de s’abstenir est encore mal vu socialement, ce qui peut amener certains à déclarer à un sondeur qu’ils iront voter alors que finalement non. Je précise qu’à moins d’un mois du premier tour, 68 % des Français sont certains d’aller voter, c’est un peu plus faible que lors des présidentielles précédentes mais la différence n’est pas flagrante.

Quel est le profil type de ces votants intermittents ?

Il y a une surreprésentation des catégories populaires, qui se mobilisent tout de même le jour J en règle générale. Mais cette catégorie comporte surtout des jeunes. Le RN, LFI et EELV ont donc une forte proportion d’électeurs de ce type. La plus grosse inconnue concerne le vote Jadot. Plus l’environnement est au centre de l’actualité, plus le score des Verts augmente. Nous l’avons constaté lors des européennes de 2019 où les marches pour le climat ont fait la Une ce qui a profité aux écolos.

"Nos études montrent pour l'instant une sous-mobilisation du peuple de gauche"

La gauche est divisée et n’a jamais été aussi faible. Cela a-t-il un effet sur son électorat ?

Pour le moment, nos études montrent une sous-mobilisation du peuple de gauche, pourtant traditionnellement mobilisé, qui est hérissé contre ces candidatures quasi de témoignage, le sentiment de vote inutile semble prédominer. En 2017, Jean-Luc Mélenchon avait réussi cette union en siphonnant les voix du PS. Cette fois-ci, les choses sont plus difficiles. D’une part parce qu’il n’y a plus d’électorat socialiste à siphonner, Anne Hidalgo étant à 3 % en moyenne. D’autre part parce que le dirigeant insoumis possède une image détériorée qui ne plaît pas forcément à l’électeur modéré. C’est d’ailleurs pour cela qu’il essaie deux méthodes : dire qu’on peut ne pas aimer sa personne mais se retrouver dans son programme et essayer de faire voter l’électorat des banlieues. Un pari périlleux car c’est le segment le plus abstentionniste et cela peut conduire LFI à perdre des électeurs qui voient d’un mauvais œil des œillades communautaristes.

Quid du second tour ?

Une chose me frappe particulièrement. En 2017, seulement 15 % des électeurs de Benoît Hamon ne sont pas allés voter. Cinq ans plus tard, dans le cas d’un second tour opposant Emmanuel Macron à l’extrême droite, cela monte à 30 % chez l’ensemble des électeurs de gauche.

Qui pourrait tirer profit d’une forte abstention ?

Nous savons que les électeurs les plus mobilisés sont les personnes âgées et celles à haut niveau de revenu. Dans les sondages, ils tendent à voter LR ou LREM. Logiquement, Emmanuel Macron, mais surtout Valérie Pécresse ont, je pense, intérêt à une abstention élevée.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

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