Stéphane Le Foll, le poil à gratter du PS
Pas de débats publics, une consultation réservée aux simples militants, de grands élus incités à clamer publiquement tout le bien qu’ils pensent d’Anne Hidalgo… Pour investir sa championne, l’état-major socialiste n’a pas hésité à baliser le terrain. Quitte à piper les dés, diront quelques esprits chagrins. D’une certaine manière, la mission est accomplie. Le 14 octobre, la maire de Paris est officiellement désignée candidate à la présidentielle de 2022 et les premiers tracts n’ont pas tardé à faire leur apparition. Pourtant, malgré les moyens déployés, les résultats n’ont rien du plébiscite. Son seul opposant, Stéphane Le Foll, destiné au rôle de simple faire-valoir, obtient 28% des voix. Plus d’un militant sur quatre donc. Un résultat qui en dit long sur les doutes qui rongent le parti à la rose.
Le dernier des hollandais
Alors que la nouvelle direction menée par Olivier Faure tente de faire table rase du quinquennat précédent, Stéphane Le Foll se présente toujours comme le fidèle lieutenant d’un homme qu’il a accompagné tout au long de son parcours. De 1997 à 2008, il fut directeur de cabinet de François Hollande, alors premier secrétaire du PS. Une fois à la présidence, celui-ci fait appel à son principal porte-flingue qui passera cinq ans au poste de ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, tout en étant porte-parole du gouvernement à partir de 2014. Aujourd’hui encore, il revendique cet héritage et s’en prend à un parti socialiste qu’il juge ingrat. Dans son ouvrage Renouer avec la France des Lumières paru en septembre aux éditions Calmann-Lévy, il ne mâche pas ses mots contre Olivier Faure, coupable d’occulter le bilan de François Hollande et qui a "fait le choix de vendre Solférino, de passer par pertes et profits la construction politique de François Mitterrand et du socialisme français. Selon lui, le socialisme ne peut trouver d’issue historique que par sa dilution dans une écologie politique." Pour celui qui est maire du Mans depuis 2018, cette stratégie s’apparente à un crime de haute trahison.
Dans ce rôle de gardien du temple, Stéphane Le Foll est relativement seul : "C’est un homme isolé en interne, une sorte de cow-boy solitaire", explique Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université de Lille et spécialiste du socialisme. D’après lui, le Sarthois est "le dernier hollandais historique encore actif au sein du parti : Michel Sapin ne milite plus, François Rebsamen lorgne de plus en plus vers la Macronie, Jean-Yves Le Drian est un poids lourd du gouvernement depuis 2017. Patrick Kanner, président du groupe au Sénat, pourtant un fidèle de l’ancien président, roule désormais pour Anne Hidalgo." Il en est de même pour la nouvelle garde, même lorsque, comme Stéphane Le Foll, elle est issue de l’aile droite du parti. C’est notamment le cas de Mickaël Delafosse, maire de Montpellier, ou encore de Carole Delga, triomphalement réélue à la tête de l’Occitanie lors des dernières élections régionales.
Les 28% de Stéphane Le Foll sont une épine dans le pied d'Olivier Faure avec qui les relations sont glaciales
Nostalgique du PS d’avant
Au niveau des idées, Stéphane Le Foll reste dans la tradition de la social-démocratie traditionnelle. Mais ce qui le distingue de ses adversaires, c’est son attachement au PS en tant que pôle central de la gauche tricolore. À ses yeux, le parti devrait reprendre à son compte la devise de François Hollande : "Ce n’est pas l’union qui fait la force, mais la force qui fait l’union." Malgré des résultats électoraux décevants, l’un des derniers éléphants estime que parti à la rose n’a pas de concessions à faire et que c’est autour de lui seul que la victoire est envisageable. Ce qui le pousse, toujours dans son livre programme, à croiser le fer avec "la nouvelle génération de socialistes qui a vécu très largement grâce à l’assise de la génération précédente qui veut exister en effaçant toutes traces de ces années qui ont été, soi-disant, des années d’erreurs". Autant dire qu’avec Olivier Faure, longtemps ouvert à l’idée de se ranger derrière un candidat EELV à la présidentielle, les relations sont glaciales. Le rival d’Anne Hidalgo, bien que toujours militant, a d’ailleurs démissionné du bureau national pour protester contre le choix de l’appareil socialiste de se ranger derrière l’essayiste non encarté Raphaël Glucksmann aux élections européennes de 2019.
Rendre service
Certains esprits optimistes, estiment que Stéphane Le Foll a joué la carte de la démocratie interne et est "parti au casse-pipe" pour assurer la tradition des courants et des débats internes qui structurent le parti depuis des décennies. "Ce mode de fonctionnement constitue l’essence même du PS. La candidature de Stéphane Le Foll permet, sur le papier, de faire vivre cette tradition, même si aucun débat n’a été possible durant cette primaire", observe l’universitaire qui relève qu’au dernier congrès, il n’y avait que deux motions à discuter : celle portée par la direction actuelle et celle d’Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin, plutôt proche de la ligne Le Foll.
Pour Stéphane Le Foll, le PS doit être le parti dominant de la gauche
En se présentant face à Anne Hidalgo, il compte ses troupes mais conforte avant tout la crédibilité de son adversaire. De là à affirmer que Stéphane Le Foll a accepté le rôle de sparring partner dans une logique d’altruisme et de respect des coutumes de la vieille maison, il n’y a qu’un pas…
Préparer l’après
Le lendemain du scrutin, sur l’antenne de France Bleu, le candidat malheureux annonce qu’il ne participera pas à la campagne de sa rivale : "Non, je ne rejoindrai pas Anne Hidalgo, mais je lui souhaite bonne chance. J’ai dit des choses très claires sur les divergences que j’avais". Parmi elles, la diminution du temps de travail, la baisse de la TVA sur les produits pétroliers, le doublement du salaire des enseignants ou encore une potentielle alliance avec les écologistes (qu’Anne Hidalgo a pourtant écartée). Un coup dur pour la candidate qui rêvait de faire l’unanimité derrière elle et avait invité la veille son adversaire à se rallier sous prétexte que "sa famille politique a besoin de lui et de son engagement".
Un rôle de Schtroumpf grognon (la formule est de la sénatrice Marie-Pierre de la Gontrie) qui a le mérite de la clarté, mais qui n’est pas sans arrière-pensées, note Rémi Lefebvre qui estime que la campagne de l’ancien ministre n’est "pas seulement un baroud d’honneur". Il s’agirait plutôt d’un pari sur l’avenir. Pour le moment, la campagne d’Anne Hidalgo ne décolle pas, les sondages la créditent d’un score compris entre 4 % et 7% des voix au premier tour. Le PS, malgré une sérénité de façade, pourrait douter si la candidature ne prend pas.
"Dans ce cas-là, Stéphane Le Foll jouera sur du velours. Il pourra dire : 'Je vous avais prévenu que ça ne marcherait pas et personne ne m’a écouté'", sourit Rémi Lefebvre qui juge cette situation possible. Au-delà de l’indignation, l’ancien ministre pourra jouer au rebâtisseur à l’issue de la présidentielle. Voire plus si affinités. Après tout, son mentor n’a-t-il pas été propulsé à l’Élysée quelques mois après avoir été qualifié du sobriquet de "Monsieur 3%" en référence à son score dans le cadre d’un éventuel duel avec DSK ? En politique tout est possible. Stéphane Le Foll le sait. Le voici embusqué en l’attente d’éventuels jours meilleurs…
Lucas Jakubowicz