Le politologue Vincent Tiberj répond à la question.
Après la victoire du FN lors de l'élection cantonale partielle à Brignoles (Var), et à l’instar de ce qu’a alors déclaré Marine Le Pen, sa présidente – « Le FN est le premier parti de France » –, corroboré quelques heures plus tard par Jacques Attali sur i>Télé – « Il faut objectivement constater qu’aujourd’hui, le FN est le premier parti de France », peut-on objectivement affirmer que le FN est aujourd’hui le premier parti de France ?


Question à Vincent Tiberj, chargé de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques et maître de conférences à Sciences-Po et auteur de Des Votes et des Voix. De Mitterrand à Hollande (Champ social, collection « Questions de société » en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès, 143 pages, 19 €).



Décideurs. Peut-on objectivement affirmer que le Front national est aujourd’hui le premier parti de France ?

Vincent Tiberj.
Première leçon : il ne faut jamais tirer d’une élection partielle des résultats nationaux. Si l’on regarde de plus près, en 2011, le Front national avait obtenu près de 50 % des voix dans ce canton avec à peu près le même nombre de votes. Nous sommes bien sur un territoire où le parti de Marine Le Pen est extrêmement fort. Un territoire où il se maintient, avec une capacité de mobilisation vraiment intéressante pour lui. Et alors même que l’on est en présence d’une élection partielle, il n’y a aucune perte de voix… De là à penser que la gauche a disparu du canton, c’est un peu se tromper ! On aurait pu dire la même chose de la droite en 2011.
Asséner que « le Front national est aujourd’hui le premier parti de France », c’est naturellement pour Marine Le Pen le moyen de faire croire qu’il existe bien un mouvement en faveur du FN qui la mettrait au niveau du PS ou de l’UMP. Or, ce n’est pas le cas, même si elle déclare que son parti vaut plus que le front républicain, UMP et PS réunis. En termes arithmétiques, c’est quand même un peu plus compliqué que ça.
Cela fait très longtemps que le FN essaie de jouer sur l’argument du poids numérique. On avait déjà entendu cela en 2002 à propos du vote ouvrier, lorsque le FN s’était proclamé « premier parti ouvrier de France ». La gauche rassemble encore largement plus d’ouvriers que l’extrême droite. Le FN a la fâcheuse tendance à laisser de côté les scores des Verts ou du Front de gauche...
Autre leçon de ce scrutin : l’électorat d’un parti en tant que tel n’existe plus. Il subsiste bien sûr des sympathies, un ancrage à gauche ou à droite, mais ce sont les logiques locales, comme les précédents scrutins, le choix des candidats, etc. qui permettent d’arbitrer au sein de la gauche ou de la droite. Et ce d’autant que les électeurs d’aujourd’hui bougent très facilement. En 2002, nous avions constitué un panel qui englobait la présidentielle et les législatives avec la question de la proximité partisane. Résultat : en trois mois, 40 % des électeurs avaient changé de réponse ! Qu’il existe des électorats structurés sur des lignes partisanes, ça a pu exister jusque dans les années 1970-1980, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Chaque élection est belle et bien une question à laquelle les électeurs répondent de manière différente. Ce n’est pas la même chose de mettre un bulletin FN dans une cantonale partielle que dans une municipale de second tour, que dans une législative, voire une présidentielle. C’est ce que l’on appelle par exemple le vote de protestation.
En résumé, ce vote nous confirme la bonne santé du Front national et sa capacité à mobiliser, mais aussi le mécontentement des électeurs de gauche vis-à-vis de leur gouvernement.

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