Ancien magistrat, Philippe Bilger revient sur la relation tendue entre Nicolas Sarkozy et la justice.
Ancien magistrat qui a voté Nicolas Sarkozy en 2007 et qui ne s’en est pas remis, Philippe Bilger, président de l’Institut de la parole, ancien avocat général et auteur de Contre la justice laxiste (l’Archipel, 128 pages, 13,5 €), ne mâche pas ses mots à l’égard de l’ancien président de la République.


Décideurs. Comment analysez-vous la tribune de Nicolas Sarkozy publiée dans Le Figaro quelques jours avant le premier tour des élections municipales ?

Philippe Bilger.
Si ça n’était pas un sujet sérieux, j’éclaterais de rire. Cette lettre aux Français est grotesque ! Il a eu un culot monstre ! Nicolas Sarkozy oublie que son quinquennat a été le contraire de l’État de droit. De plus, il fait une analyse très étrange de son souci de tranquillité et de discrétion. Depuis qu’il a été battu, il fait montre d’un effacement ostensible : il n’a qu’une envie, c’est d’être remarqué et de revenir. Il joue sur un double registre : d’un côté il invoque une volonté de discrétion civique et de l’autre il applique sa stratégie politique. Il amadoue ses futurs rivaux alors que, pendant deux ans, il a bouché l’horizon de la droite en interdisant tout inventaire et en empêchant toute présentation dans son camp. De ce point de vue, sa posture est très habile. Mais sur le plan de la morale publique, il n’a pas de leçon à donner. Je dirais que je suis bien plus déçu par le président battu depuis mai 2012 que par celui qui, pendant son mandat, a fait connaître à la France des avancées certaines.


Décideurs. Que vous inspire le climat des affaires touchant actuellement la droite ?
P. B.
Je ne crois pas à une opération politique ni à une manœuvre partisane. Ce sont des affaires qui n’ont pas été inventées par les magistrats : elles reflètent un certain nombre de troubles liés à la droite. Leur émergence n’a rien de pervers. Ce sont les hasards de l’actualité et de la vie nationale : rien n’interdit de penser qu’un jour ce sera la gauche qui sera à son tour affectée par ce genre de péripéties. La libération sur le plan judiciaire explique pourquoi on a le sentiment d’être sollicité tous les jours à propos d’affaires politiques.


Décideurs. Les magistrats jouissent-ils d’une liberté accrue depuis l’élection de François Hollande ?

P. B.
Effectivement, depuis 2012, la latitude procédurale et judiciaire est plus grande, les procédures peuvent aller plus vite, la liberté d’action des magistrats est accrue. Il faut bien rappeler que la parole publique, sur tous les plans, a commencé à se libérer avec l’élection de Nicolas Sarkozy qui a, par son propre exemple, assoupli l’obligation de réserve à laquelle sont soumis les diverses institutions et services publics. Mais le précédent quinquennat, pour les quelques affaires sensibles qui intéressaient le pouvoir, a été une catastrophe. La magistrature était asservie et domestiquée, elle a complu au pouvoir. Depuis le mois de mai 2012, le Président et la garde des Sceaux font preuve d’une courtoisie institutionnelle remarquable à l’égard du corps judiciaire. La liberté qui lui est laissée dans la gestion des affaires sensibles et dans l’avancée des enquêtes est manifeste.


Décideurs. Vous ne croyez donc pas à une « sarkophobie » dans le surgissement et le traitement des affaires qui touchent actuellement l’ancien Président ?

P. B.
Encore une fois, il n’y a pas de motivations politiques ou partisanes dans les affaires qui touchent la droite. Il est vrai que les magistrats n’ont pas une affection démesurée pour l’ancien Président qui le leur a bien rendu. Je ne crois pas que les procédures dans lesquelles il est impliqué résultent d’une partialité des magistrats, d’un antisarkozysme qui trouverait de quoi nourrir une animosité procédurale. Les principes fondamentaux ont été respectés et les procédures n’ont pas été transgressives, y compris concernant la mise sur écoute de Nicolas Sarkozy et de son avocat. Les citoyens préfèrent se persuader qu’il y a un gouvernement par les juges et par les médias mais je continue à penser que la justice fonctionne correctement. Le traitement médiatique de ces affaires est normal et souhaitable dans un État de droit. Je suis viscéralement satisfait de ce que la démocratie n’est pas tenue dans l’ignorance de ce qui la concerne au premier chef, dès lors que les principes fondamentaux sont respectés. Cependant, il est exact que certains magistrats désirant à un tel point découvrir la vérité et faire progresser leur enquête ou leur instruction ont parfois été jusqu’à la limite extrême de ce que permet la procédure. C’est une audace procédurale et en aucun cas un acharnement.



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