Droit social : Encadrement des rémunérations des professionnels des marchés financier : et le droit
La Fédération bancaire française et l’Association française des marchés financiers (AMAFI) ont publié au mois de novembre 2009 des normes professionnelles drastiques relatives aux rémunérations variables des professionnels des marchés financiers. Il reste désormais aux entreprises concernées à appliquer ces règles en essayant, autant que faire se peut, de respecter le droit du travail.
À la suite du sommet du G20 de Pittsburgh, le Ministère de l'économie a pris un arrêté du 3 novembre 2009 « relatif aux rémunérations des personnels dont les activités sont susceptibles d'avoir une incidence sur l'exposition aux risques des établissements de crédit et entreprises d'investissement »1.
Cet arrêté a été complété par une norme professionnelle de la Fédération bancaire française du 5 novembre 2009 et une norme professionnelle de l’Association française des marchés financiers du 26 novembre 2009.
Désignés à la vindicte populaire depuis le sommet de l’état pour n’avoir peut-être pas tiré tous les enseignements de la crise financière en matière de rémunérations variables, les secteurs bancaire et financier se devaient de marquer avec force leur volonté de mieux encadrer les bonus servis à leurs salariés.
Les organisations professionnelles ayant rempli leur rôle, tous les regards se tournent désormais vers les banques et les entreprises d’investissement dont on imagine qu’elles vont rencontrer certaines difficultés pour combiner ces nouvelles contraintes avec les règles protectrices du droit du travail.
Les principales nouveautés du dispositif d’encadrement des bonus.
(i) Les rémunérations variables garanties sont désormais interdites sauf dans l’hypothèse d’une embauche (hors mutations intragroupe) et pour une durée limitée à une année.
(ii) Le versement d’une fraction de la rémunération variable attribuée au titre d’un exercice est différé dans le temps.
Le versement doit ainsi être étalé sur au moins trois exercices postérieurs à celui de l’attribution de la rémunération variable, avec un rythme de versement qui ne doit pas être plus rapide qu’un prorata temporis.
Les rémunérations variables différées devront représenter au moins 50 % des rémunérations variables attribuées aux professionnels concernés au titre du même exercice.
(iii) Une part importante de la rémunération variable devra prendre la forme d’actions, d’instruments adossés à des actions, d’instruments indexés de manière à favoriser l’alignement sur la création de valeur à long terme, ou, pour les sociétés non cotées, d’autres instruments équivalents.
Les rémunérations variables attribuées sous forme de titres ou instruments équivalents devront représenter au moins 50 % des rémunérations variables attribuées au titre du même exercice2.
L’attribution des actions ou des instruments adossés à des actions sera subordonnée à l’existence d’une période d’acquisition ou d’une durée de détention minimale qui ne pourront être inférieures à deux ans.
(iv) Le versement effectif de la partie différée sera subordonné au respect de conditions qui sont fonctions de critères liés aux résultats de l’entreprise, de l’activité de la ligne métier et, le cas échéant, de critères individuels.
Ainsi, la part de la rémunération différée susceptible d’être versée sous condition des résultats de l’exercice où ils sont constatés peut être substantiellement réduite ou ne pas être versée.
Les normes professionnelles de la Fédération bancaire française et de l’AMAFI prévoient par ailleurs que ces nouvelles règles s’appliquent aux rémunérations versées à partir de 2010 au titre de l’exercice 2009.
L’articulation des contraintes nouvelles avec le droit du travail.
Plusieurs principes fondateurs du droit du travail pourraient se voir sérieusement bousculés par l’application dès l’année 2010 de ces nouvelles règles d’encadrement des bonus au premier rang desquels l’impossibilité pour l’employeur de modifier une norme juridique de manière unilatérale et/ou sans préavis et, à plus forte raison, de manière rétroactive.
La détermination des bonus des professionnels des marchés financiers, souvent d’une extrême sophistication, résulte nécessairement de l’une des trois normes suivantes : l’accord collectif (rarement), l’usage (parfois) et le contrat de travail (le plus souvent).
Dans tous les cas, l’évolution de l’une ou l’autre de ces normes juridiques implique le respect d’une procédure spécifique (consultation du comité d’entreprise, dénonciation, respect d’un préavis, etc.), et surtout, s’agissant du contrat de travail, de recueillir l’accord du salarié.
Concrètement, cela signifie que le versement différé du bonus, sa « mutation » en titres et l’application éventuelle d’un « malus » ne peut se faire qu’avec l'accord exprès du salarié.
Ce constat vaut à plus forte raison pour les bonus acquis au titre de l’exercice 2009 qui devaient être versés au cours du premier trimestre de l’année 2010.
Une analyse audacieuse pourrait certes consister à tenter de transposer au cas particulier les quelques arrêts de la Cour de cassation ayant admis que la modification du contrat de travail résultant de la mise en conformité avec des dispositions légales s’impose au salarié.
Toutefois, au-delà de l’appréciation de la pertinence de cette analyse, les entreprises des secteurs bancaire et financier se devront d’agir avec mesure si elles ne veulent pas déstabiliser leurs équipes.
Par ailleurs, il convient de rappeler que sur le fondement de l’article L.2323-27 du code du travail le comité d’entreprise a vocation à être consulté préalablement à la mise en place au sein de l’entreprise de nouveaux systèmes collectifs de rémunération.
L’application rétroactive des nouvelles règles d’encadrement aux bonus versés en 2010 mais attachés à l’exercice 2009 conduit donc mécaniquement à faire l’impasse sur cette consultation du comité d’entreprise au risque d’encourir les sanctions liées au délit d’entrave.
Notons enfin que les clauses prévoyant l’application éventuelle d’un « malus » devront être rédigées avec soin pour ne pas se heurter au principe de la prohibition des sanctions pécuniaires.
La Cour de cassation a par exemple jugé dans un arrêt du 4 juillet 2007 que constituait une sanction pécuniaire illicite une clause de malus prévoyant une diminution des commissions « dans l'hypothèse où le taux d'annulation des contrats de vente enregistrés sur un mois déterminé est supérieur à 5 % des contrats signés sur le même mois ».
Notons que la norme AMAFI du 26 novembre 2009 a pris la précaution de conditionner son application au respect des règles impératives du droit du travail.
Il semble en effet difficile de concilier l’application stricte des normes professionnelles en cause et celle tout aussi stricte du droit du travail.
Seul un arbitrage subtil devrait permettre de concilier l’inconciliable.