Les cryptoactifs, un environnement juridique et fiscal encore incertain
À l’heure des débuts du WEB3.0, remplaçant annoncé du WEB2.0, l’utilisation des cryptoactifs devrait connaître un nouvel essor sans pareil. Pour rappel, le WEB3.0 se fonde l’idée de rendre le pouvoir aux internautes en créant un web "décentralisé", où ceux-ci peuvent "transporter" leurs données d’un service à l’autre. Le WEB3.0 vise à supprimer les intermédiaires que sont les grandes entreprises de la Tech. Ce dernier est construit à partir de la technologie de la blockchain, laquelle est à la base des cryptomonnaies, smartcontract ou encore Non fongible Token ("NFT").Ce WEB3.0 engendrera sans aucun doute de nouveaux espaces d’échanges économiques sans frontière où le recours aux cryptoactifs sera alors la règle. Si les cryptoactifs seront le standard du WEB3.0, il reste qu’aujourd’hui leur définition ne connaît pas de normalisation au niveau international, rendant difficile leur appréciation et appréhension sur le plan juridique et fiscal. Cette carence se traduit notamment dans la définition juridique des cryptoactifs et plus particulièrement des cryptomonnaies.
Seul à ce jour, le Salvador a reconnu le Bitcoin comme monnaie nationale. Certains États reconnaissent les cryptomonnaies comme moyen de paiement légal comme le Japon et le Honduras ou le Royaume-Uni qui, pour ce dernier, a annoncé très récemment sa volonté de reconnaitre les stablecoins comme un moyen de paiement légal. D’autres États quant à eux assimilent les cryptomonnaies à des monnaies, tels que la Belgique, l’Italie ou encore la Pologne. La France quant à elle, les qualifie d’actifs numériques. Ces différentes qualifications juridiques conduisent bien évidemment à des traitements différenciés d’un État à l’autre des échanges de cryptomonnaies.
"Seul à ce jour, le Salvador a reconnu le Bitcoin comme monnaie nationale"
Ainsi, la Suisse, la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas, sous certaines conditions propres à chacun de ces États, considèrent que les échanges de cryptomonnaies, à titre occasionnel et entre particuliers, ne constituent pas un fait générateur d’imposition. La France a pour sa part introduit un sursis d’imposition applicable aux échanges de cryptomonnaies sans soulte, repoussant l’imposition à la conversion des cryptomonnaies en monnaies ayant un cours légal ou tout achat d’actif ou de service contre remise de cryptomonnaies. La France tire néanmoins son épingle du jeu en étendant le régime du sursis aux échanges en stablecoins, ce qui laisse une grande liberté pour les détenteurs de stablecoins de maîtriser le fait générateur de leur imposition sans être soumis aux aléas des cours très volatiles des cryptomonnaies.
La grande limite de ces diverses législations nationales provient néanmoins de leur champ d’application, cantonné aux frontières du pays concerné. Il est dès lors plus que nécessaire qu’une normalisation internationale advienne. À ce titre, plusieurs organisations internationales travaillent à l’élaboration de standards internationaux. Un premier rapport OCDE a été publié en octobre 2020 posant les premiers axes de réflexions (incorporation des cryptoactifs dans le cadre fiscal existant de chacun des pays membres, dichotomie entre le traitement applicable aux professionnels et aux nonprofessionnels, et un impératif de transparence des différents acteurs).
Dernièrement, le projet de règlement européen dit "MiCA" du 14 mars 20224 est venu quant à lui poser les axes pour la création d’un nouveau cadre juridique harmonisé. Le projet de règlement prévoit notamment (i) une taxonomie des définitions des différents types des cryptoactifs, (ii) un régime dédié aux offres publiques de divers types de cryptoactifs (à l’exception des actifs financiers ou monétaires déjà couverts par le droit de l’UE), (iii) un régime propre aux offres publiques de "stablecoins" et (iv) un régime propre aux prestataires de services sur cryptoactifs. Toutefois, à ce stade les efforts des législateurs se limitent essentiellement aux traitements des cryptomonnaies et font fi des nouveaux cryptoactifs.
Plus particulièrement, le traitement des NFT reste dans une zone d’ombre, malgré un engouement considérable pour ces derniers et ce, plus particulièrement dans le monde de l’art. On prendra pour exemple l’œuvre de l’artiste Beeple intitulé "Everydays : the first 5000 days" vendu pour 69.3 M$ ou encore le prochain film de Martin Scorsese qui sera financé exclusivement par NFT. Comme ses voisins, le gouvernement français ne s’est pas démarqué par son appropriation de ces sujets, bien que les parlementaires l’aient interrogé sur ceux-ci. Deux questions au gouvernement ont en effet été posées sur le traitement fiscal applicable à ces NFT5 et à l’occasion des travaux sur la loi de finances pour 2022, nous noterons un amendement proposé par le député Monsieur Pierre Person proposant de traiter les gains issus de la cession de NFT selon le régime fiscal applicable à l’actif sous-jacent dont le NFT constitue le certificat numérique. Malgré cet amendement pragmatique, celui-ci fut retiré par son auteur au dernier moment.Si sur le plan fiscal les évolutions ne sont pas prolixes sur ces sujets, on notera une véritable avancée dans le domaine des ventes volontaires. Le législateur, avec l’introduction de la loi visant à moderniser la régulation du marché de l’art, a étendu le champ des ventes volontaires aux ventes de biens meubles incorporels.
"Le Conseil d’État était en effet arrivé à la conclusion que les bitcoins pouvant être qualifiés de biens meubles incorporels"
Cette possibilité vise les ventes de fonds de commerce, mais aussi des NFT. C’est d’ailleurs au regard du "développement fulgurant du marché des NFT" tel que cela a été avancé lors des débats parlementaires et de l’ampleur des ventes aux enchères publiques des NFT, que cette modification de l’article L 320-1 du Code de commerce a été en partie motivée.Cette avancée n’est pas sans incidence sur le traitement fiscal des gains issus des NFT, car il pourrait être alors considéré que les NFT ne seraient pas des actifs numériques tels que défini à l’article L 54-10-1 du CMF, article référencé par l’article 150 VH bis du CGI pour définir son champ d’application. À défaut de cocher la case de l’actif numérique de l’article L. 54-10-1 du CMF, il y a de bonnes raisons de considérer que le raisonnement du Conseil d’État dans sa décision du 26 avril 20188 rendu sur la qualification des bitcoins avant l’intervention du législateur en 2019 soit alors applicable au NFT. Le Conseil d’État était en effet arrivé à la conclusion que les bitcoins pouvant être qualifiés, au sens du droit civil, de biens meubles incorporels, le régime des cessions de biens meubles défini à l’article 150 UA du code général des impôts leur était applicable.
Les gains étaient ainsi assujettis à un taux global de 36,2 % après application d’un abattement de 5 % pour une durée de détention au-de-là de la deuxième année, les gains inférieurs à 5 000 € étant exonérés. En outre, si l’éligibilité des NFT à la protection par le droit d’auteur venait à être confirmée, le régime de cession des œuvres d’art, qui prévoit une taxe forfaitaire de 6,5 % sur le prix de vente, devrait alors pouvoir trouver application. En tout état de cause, si cela se confirmait, l’acquisition ou la cession de NFT contre des cryptomonnaies ne devraient donc pas bénéficier du sursis d’imposition défini à l’article 150 VH bis du CGI. En conclusion, une clarification sur le plan national et international sur les cryptoactifs serait la bienvenue pour permettre à l’ensemble des acteurs d’appréhender et apprécier l’ensemble des conséquences liées à ces actifs.
Par Christophe Flaicher, avocat associé et Gwendal Chatain, avocat counsel. Taylor Wessing